Analyste:
Michel Parouty
Dans son ouvrage sur Rameau, paru à Londres en 1957, Cuthbert Girdlestone
classe Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour parmi les oeuvres
mineures du Dijonnais: mais qu'entend‑il par « mineures » ? «Je les appelle
ainsi, les unes parce qu'elles sont courtes, les autres parce qu'elles sont
d'un intérêt artistique moindre, d'autres encore pour ces deux raisons à la
fois.» Suit une analyse prestement expédiée, qui souligne quand même, mais
sans trop s'y attarder, le passage spectaculaire du débordement du Nil, clou
de la deuxième Entrée, «Canope».
Le Rameau de A à Z que dirigea Philippe Beaussant pour Fayard, en 1983, avec
la collaboration de Marie‑France Béziers pour l'article cité, est plus
indulgent, sans pour autant se montrer enthousiaste.
Dans son récent Jean‑Philiippe
Rameau,
que vient d'éditer Fayard (voir notre rubrique « Livres» dans ce
numéro), Sylvie Bouissou, spécialiste en la matière, remet les pendules à
l'heure, soulignant ce que l'oeuvre apporte de nouveau, réhabilitant, par la
même occasion, le travail du librettiste, Louis de Cahusac.
Peut‑on dire sans impertinence que ces Fêtes de l’Hymen et de l'Amour
sont un recyclage ? À l'origine, ce devait être un ballet, Les Dieux
d’Égypte, en trois parties: « Osiris», « Canope», «Aruéris». Les
événements historiques en décidèrent autrement Le 15 mars 1747, dans la
salle du Manège de Versailles, les Fêtes virent le jour sous la forme d'un
«opéra‑ballet» (l’intitulé du livret est «ballet héroïque») en un Prologue
et trois Entrées,
à
l'occasion des divertissements donnés en l'honneur des noces du Dauphin,
fils de Louis XV, et de Marie‑Josèphe de Saxe. Le Prologue ajouté est, bien
entendu, une page de
circonstance
:
l’Amour, qui avait déclaré la guerre à l'Hymen, se heurte à un ennemi qui ne
veut
que son bonheur, et les deux s'unissent dans l'allégresse générale.
Quoi qu'on en dise, dans cette Egypte de fantaisie chère à Cahusac, certains
personnages sont caractérisés avec pertinence (Mirrine, l'ardente
Amazone, Canope, dieu égyptien des Eaux, Aruéris, dieu des Arts), et si
les situations dramatiques sont sommaires, elles n'en sont pas moins
efficaces. D'autant qu'elle servent à amener les divertissements
chorégraphiques, parfaitement intégrés dans une narration qui ne
souffre d'aucune rupture et que facilite la brièveté de chaque mouvement .
Une orchestration chatoyante (remarquez le rôle des flûtes et des hautbois),
des choeurs dotés d'une forte présence, des airs toujours gracieux, certains
faisant appel à une virtuosité quasi italienne (« Volez Plaisirs »,
chanté par l'Amour dans le Prologue), d'autres infiniment tendres,
davantage dans le goût français (« Veille, Amour» de Memphis, dans «
Canope »). On attend le passage du débordement, du Nil, avec son double
choeur et ses solistes : il est impressionnant. Rameau se paie aussi le luxe
d'un sextuor, quelques minutes avant la fin de la troisième Entrée ! C’est à
l'Opéra Royal de Versailles qu'a été capté le présent concert les 13 et 14
février 2014. La direction très carrée d'Hervé Niquet va bon train et impose
à l'ensemble une allure martiale; les danses sont enlevées avec brio, le
récit est rondement mené, mais avec suffisamment de fluidité pour garder son
unité. On ne risque, ici, ni mièvrerie, ni préciosité, les couleurs
orchestrales du Concert Spirituel sont vives. Et le même élan se retrouve
chez les choristes. Ce Rameau est plus conquérant que poétique, mais sa
franchise aura ses partisans. La distribution en est honnête, même si le
quatuor féminin semble parfois un peu court: Jennifer Borghi a‑t‑elle
vraiment le grave que requiert le «bas-dessus» de Minine ? En Plaisir, en
Aruéris, Mathias Vidal est toujours un styliste expert, dont on aime le sens
de la phrase et du mot, mais, en se développant, sa voix commence à
plafonner légèrement dans l'aigu. Reinoud Van Mechelen est un charmant
Osiris, et Tassis Christoyannis un Canope au chant élégant.
En première mondiale, un apport de choix à une discographie ramiste qui en a
bien besoin.
Fermer la fenêtre/Close window |