Analyste: Michel
Parouty
Merveilleuse carrière que celle
de Marie Feil( 1713‑1794), et qui méritait bien l'hommage que lui rendent
Carolyn Sampson et Jeffrey Skidmore, toujours prêts à défendre le répertoire
français, Pendant plus de vingt ans, de 1734 à 1758, Marie Fel fut l'une des
étoiles de l'Académie Royale de Musique, et l'une des interprètes inspirées
de Rameau ‑ elle incarna la FoIie de Platée, lors de la création,
elle fut aussi Télaïre dans Castor et Pollux ; et le compositeur
écrivit spécialement pour elle le rôle de Parthénope dans la reprise des
Surprises de l’Amour. Elle consacra également une grande partie de son
activité à la musique sacrée, et se produisit régulièrement au Concert
Spirituel, créant de nombreuses partitions de Lalande, chantant aussi Fiocco,
Mondonville …
Ce que rappelle le programme de ce disque, intelligemment conçu et riche en
raretés, témoignant aussi de l'évolution de la musique française dans ces
décennies ‑ le style de Louis Lacoste est encore proche de celui de Lully,
comme le montre l'extrait de Philomèle, tandis que Rameau ne cesse
d'innover. Jean‑Jacques Rousseau commit pour Marie Fel, qui avait tenu le
rôle principal féminin du Devin du village, un Salve Regina
d'une exemplaire platitude, mélodie banale et bien peu émouvante, sur un
sujet pourtant touchant. Pure splendeur, en revanche, que les extraits du
Laudote pueri de Fiocco. Toutes ces pages tracent un portrait éloquent
de l'art de Marie Fel, habile dans l'art subtil de la déclamation française,
mais tout aussi experte dans la virtuosité, grâce à l'enseignement de la
soprano italienne Christina Sornis ‑ quels oiseaux babilleront aussi
joliment que les « Gasouillats auzeléts» de Daphnis et Alcimadure,
opéra en occitan de Mondonville ?
La seule réserve qu'on puisse apporter à cet enregistrement, gravé en
studio, en 2013, vient de la direction de Jeffrey Skidmore ; on ne peut nier
son élan et sa générosité, mais on apprécie moins sa raideur quasi
militaire, y compris dans l'utilisation des croches inégales. C'est d'autant
plus regrettable que Carolyn Sampson aborde ce répertoire avec un art
consommé, une belle maîtrise de l'ornementation et de la vocalisation, une
déclamation soignée mais sans emphase, une élocution française très
travaillée, et une voix suffisamment corsée et fruitée pour que les airs
sacrés ne tombent pas dans la sensiblerie. La fine musicalité de la soprano
britannique nourrit une expression toujours juste et sans apprêt. Elle
réveille avec charme le souvenir de celle que Voltaire appelait son «très
aimable rossignol ».
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