Analyste:
Loïc Chahine
Enchantement et plénitude nordiques
Pour sa troisième
parution discographique, l’ensemble La Rêveuse a choisi de s’orienter, après
deux disques remarqués consacrés au XVIIe siècle anglais dont l'un consacré
à des airs de Purcell (Mirare), vers leurs contemporains allemands. On y
découvre en effet des sonates en quatuor de deux grands maîtres du Nord :
Buxtehude de Lübeck et Reincken d’Hambourg.
Saluons tout
d’abord la cohérence du programme. Outre la chronologie, ces deux
compositeurs ont comme point commun d’avoir tous deux reçu la visite du
jeune Johann Sebastian Bach – fait qu’on oublie souvent pour Reinken, qu’on
oublie d’ailleurs souvent même sans cela. Et pourtant l'écriture de Reincken
ne démérite pas de la comparaison avec celle du célèbre Buxtehude ! On
découvre même un style assez proche chez les deux collègues, avec une même
rhétorique de répétition de motifs, une même modernité formelle au sein
d'œuvres qui savent prendre leurs libertés avec les schémas préétablis : si
Buxtehude fait clairement éclater la structure traditionnelle de la sonata
da camera héritée de Corelli, Reinken s’attaque à la suite "allemande –
courante – sarabande – gigue" qu’il conserve en la faisant précéder d’une
longue pièce, intitulée "Sonata", d’allure très libre. Enfin, l’on sent à
chaque instant l’influence de l’Italie intégrée par l’Autriche pointer dans
le traitement des traits virtuoses a solo (comme par exemple chez Biber)
La Rêveuse s'est
pleinement appropriée ce langage si particulier, en en rendant à la fois la
liberté et l’austérité, l’irrégularité et la rigueur. On perçoit pleinement
le contrepoint sans jamais une once d'aridité, tandis que l'orchestre se
laisse emporter par l’expressivité sans perdre de vue la profondeur
intellectuelle des pièces. Pour cela, la Rêveuse déploie son art du son,
point fort de l'enregistrement. Dès les premières secondes, on est frappé
par ces sonorités riches et opulentes, bien éloignées de la sécheresse qu’on
nous sert trop souvent dans ce répertoire. L'équilibre entre les cordes
pincées et les violons est remarquable, tandis qu'une réelle symbiose unit
les musiciens. Si l’on peut clairement discerner les voix, on pourrait
difficilement les séparer : rarement on aura entendu deux violons, pourtant
par ailleurs bien individualisés, s’unir aussi parfaitement que ceux de
Stéphan Dudermel et Simon Heyerick. A leurs côtés, la viole de gambe de
Florence Bolton sait ménager de beaux moments plus méditatifs, comme dans
la Sonata de l’Hortus Musicus I. Enfin, la basse continue sait se faire
tantôt discrète (par exemple dans certains passages solos), tantôt ménager
un effet en revenant sur le devant de la scène, comme dans les répétitions
des "Sonates" de Reinken et dans la BuxWV 271. Et l'on écrira sans
exagération que le moindre accord seul "sonne" et parvient à une
expressivité tout à fait étonnante – au sens classique du terme - il
faudrait presque aller jusqu’à dire foudroyante.
C’est au final un
sentiment de plénitude accomplie qui émane de ce disque enchanteur, tant et
si bien qu'on attend avec impatience que toutes ces qualités soient
désormais mises au service de la musique française du Grand Siècle à
laquelle l’ensemble a emprunté son nom et qu'elle défend déjà si bien en
concert.
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