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Analyste:
Marc Desmet
L'isorythmie est l'une des premières tentatives de sérialisme dans la musique occidentale. Développée au XIVe siècle comme ornement du langage le plus raffiné, elle suppose la réitération de séquences rythmiques identiques en application à des fragments mélodiques eux aussi empruntés. Réservée d'abord à la voix principale de ténor, l'isorythmie se complexifie bientôt en atteignant les autres voix et en s'associant à d'autres techniques tels le hoquet ou la dissymétrie des schémas rythmique et mélodique. Les compositions isorythmiques se distinguent donc par leur rigueur de construction, qui atteint des sommets autour des années 1400, en plein essor du « gothique international ».
L’intérêt des compositions isorythmiques de Dufay provient du fait qu'il s'agit des plus tardives composées dans ce style, mais surtout qu'elles émanent d'un auteur qui devait donner un élan décisif à l'esthétique de la Renaissance, soucieuse de comprendre le texte dans son essence et non plus dans son seul énoncé. Le fait que le programme ait été conçu de façon chronologique est un atout pour mesurer comment s'infiltrent progressivement les marques personnelles de Dufay, faites de fluidité et de clarté mélodique, à l'intérieur d'un moule ancien (notamment Balsamus el munda cera situé au milieu du programme). Loin d'apparaître comme des exercices archaïsants, ces constructions témoignent d'une variété et d'une inspiration rare, qui ne se dévoilent pleinement qu’à la suite de nombreuses écoutes.
Van Nevel est un amoureux de ces architectures savantes, et l'un des rares à avoir milité pour qu'on en reconnaisse la beauté plutôt que de les présenter (comme il est d'usage dans la plupart des histoires de la musique) comme des constructions cérébrales et gratuites. S'étant penché à maintes reprises sur l'isorythmie dans des constructions grandioses (anthologie Fébus avant – Sony), et trois incursions dans le répertoire chypriote ‑Deutsche Harmonia Mundi et Sony), Van Nevel agit de même dans Dufay avec un instrumentarium impressionnant qui souligne la construction formelle, alors que l'élégance du chant, la liberté et la souplesse des tempos se font les ornements de la rhétorique littéraire. Respiration ample et majesté de ton (Salve flos Tuscae gentis) sont des atouts majeurs, avec ce qu'il faut d'énergie pour que certaines pièces (dont le célèbre Nuper Rosarum, composé en 1436 pour la dédicace du dôme de Florence rénové par Brunelleschi) paraissent émaner d'un Stravinsky du XVe siècle!
L’intérêt
est de retrouver certains des motets ‑ dont la discographie est honorable,
comme le célèbre Nuper Rosarum ‑ aux côtés de chefs‑d'oeuvre plus
rarement enregistrés (comme Fulgens jubar Ecclesiae) et qui partagent
avec eux des traits communs. Il est surtout de découvrir l'éclat poétique de
cette synthèse hors normes entre la pensée objectivante du Moyen Age
finissant et la délectation du sensible qui marque l'aube de la Renaissance.
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