Analyste: Denis Morier
Musique in loco : Paolo Da Col a tenu à enregistrer la
Missa In Illo Tempore dans la basilique de Sanra Barbara, au coeur du
palais ducal de Mantoue là où Monteverdi oeuvrait et vivait en 1610.
II publiait alors un recueil bicéphale avec d’une part les célèbres
Vêpres et de l’autre la messe, monument tardif à la gloire du
contrepoint renaissant bâti sur dix motifs mélodiques empruntés à un motet
de Gombert ; Monteverdi (qui évoquera sa Missa di gran fatica !) les
soumet à un traitement digne d’une série dodécaphonique alla
Schönberg (chaque motif peut être rétrogradé, renversé ou les deux à la
fois) pour engendrer une série continue de fugues et d’imitations canoniques
d’une complexité aussi éblouissante qu’admirablement sonnante. Ce
chef-d’oeuvre, régulièrement enregistré (Corboz, Schneidt, Christopher,
Suzuki...) semblait avoir trouvé son interprétation de référence dans la
lecture aérienne et diaphane de Philipp Herreweghe (HM) C’est peu dire qu’Odhecaton
bouleverse la donne. Ses partis pris découlent notamment du lieu: Paolo Da
Col dispose ses chanteurs dans les deux tribunes de la basilique destinées
aux chantres, face à face, et fait accompagner la messe par le somptueux
orgue Antegnati de 1565 monté sur une troisième tribune (quand Herreweghe
privilégiait le a cappella au sens habituel du terme). Ajoutez à cela qu’il
adopte une transposition générale vers le grave conformément à la notation
en chiavette, recourt exclusivement à des voix masculines (donc à des
falsettistes) et étoffe le continuo avec harpe et luth, viole et
contrebasse... Le résultat sonore est stupéfiant, à la fois plus charnel et
plus brillant. La messe acquiert une profondeur, une ampleur, une splendeur
sonore insoupçonnées, le contrepoint serré à six voix trouvant dans cette
spatialisation une nouvelle lisibilité - ce sont, par exemple, les deux
parties de superius qui se répondent face à face en canon au lieu de
se fondre dans une image homogène. Les voix masculines sont équilibrées et
délicatement timbrées, d’une chaleur poignante, imprimant une réelle
religiosité à l’ensemble. Enfin, la prononciation a été particulièrement
soignée, de telle sorte que le texte demeure intelligible malgré les
complexes entrelacs du contrepoint. Ce programme admirablement pensé
confronte à la messe en stile antico des motets peu connus de
Monteverdi en stile moderno (en particulier deux Salve coeli
et un lumineux Regina coeli avec voix de femmes) et ceux de son
prédécesseur à Mantoue, Giaches de Wert. Diversité et cohérence nourrissent
l’une des réalisations montéverdiennes les plus abouties qu’il nous a été
donné d’entendre.
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