Analyste: Roger-Claude Travers
Adulé pour ses prestations virtuoses et auréolé du triomphe de l’Estro
armonico, le jeune Vivaldi affronte pour la première fois l’arène d’un
théâtre en 1713. En prologue d’un accueil triomphal espéré à Venise, il
confie prudemment son Ottone à Vicence. Le coup d’essai s’impose par
l’art de colorer une ligne, de doser l’inflexion qui émeut, mais aussi par
des doubles croches propres à flatter les gosiers agiles. Vivaldi partage
avec Lalli, son sulfureux librettiste, le goût pour les séductrices
perverses aux habits d’innocence, dont Cleonilla, voluptueuse maîtresse de
l’empereur Ottone, est le paragon. Jeux de l’amour sans aucun hasard entre
la dame peu farouche, le beau Caio et son amante Tullia, qui avance masquée.
La saveur piquante est apportée par le crédule Ottone, césar des cornuti,
qui ne voit rien, et délaisse Rome pour sa béate félicité, au désespoir de
son confident Decio.
Sens des couleurs aux aguets, continuo réactif, Antonini et son Giardino
toujours vert trouvent d’emblée leur marque. L’habile Cleonilla est croquée
dès son premier air « Quanto m’alleta » : phrasés sophistiqués,
rythme capricieux … l’orchestre n’est pas dupe. Veronica Cangemi batifole
sur les mots, sur les accents sensuels, joue à l’innocence empressée de la
pauvre incomprise… Et quelle formidable idée de choisir la jeune Julia
Lezhneva (née en 1989, et déjà rossinienne hors pair…) pour camper Caio !
Cet amant infidèle se taille la part du lion dans une série d’airs
formidablement variés, dont le surprenant « L’ombre, l’aure » ; la
pureté du timbre impressionne autant que la l’agilité perlée. Une beauté
noble, perfectionniste-née… »
« Raide dans ses bottes comme le veut Decio, mais vocalement aussi solide
que souple, Topi Lehtipu nous enchante… Gardons pour la fin le dindon de la
farce, l’Ottone obtus à souhait campé par Sonia Prina, timbre idéalement
viril, sans faille dans l’endurance ornementale (« Come l’oda » !)
Vivaldi jubilait sans doute en faisant caqueter ce puissant berné. Et nous
donc !
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