Analyste: Gaëtan Naulleau
Difficile de décrire une réalisation si évidente,
accueillante, que l’on découvre en ayant l’impression de toujours l’avoir
connue intimement, où tout paraît facile.
Et la musique, certes, est facile. Un apprenti-violoniste déchiffrera sans
péril ces trios admirés et pris comme modèle dans 1’Europe entière à la fin
du XVIIe siècle. Faciles, centraux : pourtant personne ne les enregistre!
Les sonates plus exigeantes de l’Opus 5 corellien ne manquent pas au disque,
mais quand avions-nous entendu les douze sonate da camera de cet Opus 4
(1694) pour la dernière fois? C’est peut-être que rien n’est plus complexe
que rester simple. Corelli perfectionne dans ses trios un discours
harmonieux qui tourne au décoratif si l’interprète n’est pas assez investi,
et qui, a contrario, ne supporte pas le moindre effet mal intégré à
l’ensemble — même minuscule, une verrue sur le nez de la Joconde fait tache.
L’expression se joue sur une riche palette de détails, d’accents discrets
mais efficaces, d’ornements voluptueux ou nonchalants dont Enrico Gatti et
les siens connaissent le moindre secret. Celui, par exemple, de glisser une
ligne mélodique dans la résonance d’une autre. Si tout semble aller de soi,
on mesure le domaine d’intervention des interprètes en ressortant le disque
du London Baroque, irréprochable mais lassant après trois plages (HM).
Disons que Corelli est un dessinateur qui a fait de l’équilibre — celui de
la polyphonie, de l’harmonie, des proportions, des tensions et des détentes
— une quête essentielle, mais que son art ne prend vie qu’avec les meilleurs
peintres. C’est donc le troisième volume Corelli de Gatti et Aurora
(totalement renouvelé au fil des ans). Leur Opus 3 recevait un Diapason d’or
en 1998, l’Opus 5 en 2003. A ce train, l’intégrale des six cahiers nous
tiendra en haleine jusqu’en 2026. Patience. Pensons au plus grand violoniste
du XVIIe siècle, qui aura patiemment fixé la quintessence de son art en
seulement six opus.
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