Texte paru dans: / Appeared in: |
|
Appréciation d'ensemble: | |
Analyste:
Gaëtan Naulleau Messe catholique née sous la plume du meilleur chantre de Luther ? L’énigme de la Messe en si mineur, qui par son ampleur et quelques mots du Credo se refusait au culte protestant, devait un jour inspirer l’humaniste Jordi Savall. En juillet 2011, il la mettait au programme d’une académie installée dans l’abbaye romane de Fontfroide, non loin de Narbonne, où les fidèles du Concert des Nations épaulaient vingt-sept jeunes musiciens de tous horizons. Les caméras de Andy Sommer se joignaient aux micros de Manuel Mohino, de sorte que le fruit de leur travail, capté en une seule soirée et fignolé par des raccords minimaux, occupe aujourd’hui quatre galettes dans un livre-disque: deux SACD pour le son, un premier DVD pour le film du concert, un second pour un documentaire. Connaissant l’amour que Jordi Savall porte au bel objet discographique, mûri et poli, on est décontenancé par l’image sonore. L’acoustique de Fontfroide est en bonne partie responsable d’une polyphonie aux contours trop flottants. L’oreille, d’abord attirée par la profondeur du son global, peine vite à trouver ses marques dans la trame de la Messe en si. La lisibilité est partout un défi dans la partition. La main de Savall pourrait aussi nous aider en affermissant des phrasés parfois lâches (les sopranos solos, les hautbois...) et en dessinant plus d’angles et de rythmes (la progression de l’Et in terra pax tourne à vide). Il préfère ne rien imposer afin que la ferveur collective naisse de l’engagement individuel : l’allant et l’ardeur du Kyrie II, la prière puissante du Gratias agimus tibi, la joie sauvage du Cum sancto spirito, la grâce du Benedictus laissent deviner quelle expérience a pu être un concert dont le disque, par nature, ne transmet que l’image et grossit les scories. Le principe d’académie, qui jadis faisait merveille à Ambronay dans les Vêpres de Monteverdi, se révèle plus périlleux dans la Messe en si. Le choeur est parfois poussé aux limites de ses possibilités, les pupitres se dessoudent çà et là. Comme dans les Vêpres, Savall multiplie tes plans sonores : un groupe de solistes, les mêmes doublés, un tutti d’une trentaine de chanteurs. Pourquoi pas ? Andrew Parrott et Georg Stauffer ne manquent par d’arguments pour défendre, depuis longtemps déjà, cette « stratégie » des doublures. Mais, en scrutant les sources et en étudiant méthodiquement l’usage du ripieno dans d’autres oeuvres de Bach, ils proposent une répartition des tâches assez différente de celle imaginée par le chef catalan (qui se fonde sur les pratiques du siècle précédent). On s’étonne que la texture soit plus floue dans les pages à un par voix que dans les tutti Le paradoxe s’éclaire dans le film, où les solistes se trouvent disséminés au sein de l’orchestre. Curieuse idée, qui ruine absolument le périlleux Confiteor, et ne profite qu’à la douceur onirique de l’Et incarnatus est. D’un quintette assez moyen, on retiendra le ténor Makoto Sakurada - noter que la deuxième voix, à la peine dans un Et in unum sans esprit, n’est pas Yetzabel Arias Fernandez comme indiqué mais Pascal Bertin. Disque étrange, à la fois l’une des interprétations les plus senties de la Messe en si mineur, libre de tout maniérisme et de toute convention, et l’une des plus imparfaites.
|
|
|
|
|
|
|
|
Cliquez l'un ou l'autre
bouton pour découvrir bien d'autres critiques de CD |