Analyste: Sophie Roughol
Dame de lumière
Comment supporter l’absence ? Pour Jordi SavalI, pour ceux
qui étaient à ses côtés « comme des sourciers découvrant de l’eau » (Manuel
Forcano), la réponse est intime. Pour nous, qui étions pris d’amour pour la
voix, si singulière, et pour la femme, « dame de lumière » il n’y a qu’un
épilogue : l’écouter, encore, toujours. Un double-album nous rend cet art
unique où le mot — son rayonnement poétique autant que son contour éloquent
— a toujours régné. Le programme est dicté par le voisinage d’affect. Par
l’intuition aussi, qui chez Montserrat Figueras primait toujours sur la
technique et le savoir (acquis, intégrés). Quelques enregistrements des
traditions orales berbères et sépharades guident vers sa Sybille exaltée,
mais aussi vers les berceuses douces-amères dont Montserrat a laissé un
disque entier. Celle de Merula, où ses paroles se font pure vision tandis
que la viole déroule son ostinato lancinant, n’a pas fini de nous fasciner.
Cantilènes, lamentos (la Ninfa, bien sûr), planctus du Mïsteri
d’Elx, canço de Beatrix de Die, remettent en mémoire cet art de la
déclamation puisé à la source commune. Puis, s’échappant de la sévérité
d’une Messe des défunts (Cererols), du Salve regina a 8 de
Victoria, de l’écriture savante d’un madrigal, Montserrat délaisse la
déploration pour le sourire. De cette lumière surgissent une séguedille, une
canzonetta, un villancico serein, un tono humano
gouailleur. A ceux qui sui virent tous ses voyages, le coffret n’apprendra
rien, il sera un compendium de chevet. Aux autres, il permettra de rattraper
le temps perdu. La grâce et l’instinct, la noblesse et la sensualité, la
sérénité et la chaleur, la douleur et le désir: la voix de Montserrat
Figueras était la Méditerranée même.
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