Analyste: Isabelle Ragnard
Alla Francesca nous ouvre grand le manuscrit dit «
chansonnier du roi » , avec onze chansons, deux motets polyphoniques et
trois danses. Toutes les chansons, sauf une, furent composées par Thibaut
comte de Champagne et roi de Navarre. Chants d’amour, débat, pastourelles,
chansons pieuses et chants de croisade montrent combien cet homme de guerre
qui conduisit la sixième croisade en Terre sainte (1239-1240), ce politicien
intrigant, cet amant, dit-on, de la reine Blanche de Castille, mais aussi ce
chrétien fervent, avait l’expérience de toutes les passions d’amour et de
chevalerie du XIIIe siecle.
Sur ces sujets variés, le roi-trouvère compose des mélodies déroutantes qui
exercent une réelle fascination lorsque les chanteurs, tel Pierre Bourhis
pour Nus hom ne puet ami reconforter, restituent sans faillir leurs
contours improbables.
L’interprétation assume la dimension dramatique des poèmes lyriques
envisagés comme autant de saynètes. Elle se fait naturellement entendre dans
certains genres dialogués tel que le débat Dame merci, qui implique
exceptionnellement une femme et un homme délibérant de la survie de l’amour
après la mort.
Dans le registre tragicomique de la pastourelle, on savoure les réparties de
la bergère (Brigitte Lesne) courtisée par le chevalier (Pierre Bourhis), ou
bien les travestissements vocaux d’Emmanuel Vistorky qui joue les deux
personnages dans J’aloie l’autrier.
La narration est d’autant plus aisée à suivre qu’on ne perd pas un mot.
Inspirés par les accompagnements improvisés orientaux, la vièliste
Vivabiancaluna Biffi et le luthiste Michaël Grébil tissent de délicats
entrelacs instrumentaux qui soutiennent ou prolongent les monodies chantées
sans jamais les submerger. Dès les premières secondes de ce florilège royal
la sonorité de la rote (instrument à cordes entre harpe et psaltérion) vous
saisit ; une heure plus tard, l’enchantement s’achève sur une estampie qui
reste à jamais suspendue.
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