Reviewer: Benjamin
Ballifh
Le sujet de
l'enregistrement entend restituer la spécificité de l'Orlando présenté en
1714 au Teatro San Angelo dont Vivaldi avec son père Giambattista était
impresario. Il s'agit d'une partition à présent réattribuée au fils Antonio,
et qui diffère du fameux et sensationnel Orlando de 1713 dont on pensait que
celui de 1714 n'était que la redite, reprise semblable in extenso, c'est à
dire un opéra dont la musique était l'œuvre de Ristori. En fait dès 1713, le
San Angelo présentait un pasticcio comprenant des airs de Ristori certes
mais aussi de Vivaldi. En 1714, après le départ de Ristori de Venise,
Vivaldi retire tous les airs de son confrère, et façonne son propre Orlando
à partir des airs des deux opéras antérieurs : Ottone il Villa et Orlando
Finto Pazzo... Sans reconstituer le III, aujourd'hui perdu, le coffret offre
un regard critique sur le corpus parvenu, les airs et récitatifs des deux
premiers actes, dont les manques et fragments ont été restitués et complétés
(du reste l'œuvre de restauration et l'état des parties rafraîchies sont
clairement expliqués dans un tableau complet édité dans la notice). Sans
puiser dans les autres opéras, Sardelli a par exemple réécrit la partie
mélodique (horizontale) qui manquait en s'appuyant sur le matériau existant
assez indicatif en l'occurrence. En découle une œuvre forte, entre poésie et
éclairs émotionnels qui annonce le fameux Orlando furioso, 13 ans années
plus tard (1727), 3ème volet sur le sujet, et celui là non plus pour baryton
mais contralto (enregistré par l'équipe française des Matheus et Spinosi).
Poursuivie par
Orlando, Angelica (Teodora Gheorghiu) qui aime en vérité Medoro est d'une clarté
fluide qui accroche les mots avec un beau tempérament. Alcina, force axiale de
cet opéra de l'enchantement, et de l'impuissance profite du timbre ample et de
la diction très assurée, magnifiquement incarnée par Romina Basso : magicienne
femme en pleine possession de ses moyens... vocaux d'une linguistique prosodiée
d'une souveraine intelligence (superbe abattage d'un cynisme mordant dans son
air de lucidité concrète qui ouvre le II : Chi seguir vuol la costanza...; la
flexibilité est impériale et l'intonation d'une formidable aisance
psychologique): son assurance provocatrice exprime l'empire de la dominatrice
qui sur son île tire les ficelles d'un manège pervers fait de manipulation et de
séduction calculée. Actrice et chanteuse, la soprano que certains diront
affectée et d'un style sophistiquée, captive par son incarnation tout à fait
personnelle du personnage d'Alcina.
Même opulence
savoureuse du timbre épanoui de Delphine Galou pour un Medoro plein de tendresse
dévorante et de désir conquérant. Son contralto donne vie et sang au rôle
travesti, et l'on comprend qu'Angelica veuille reconquérir le cœur de son bien
aimé.
De son côté, le
Bradamante de Gaëlle Arquez tire aussi son épingle du jeu: la soprano développe
une fière intensité embrasée pour des airs parmi les plus longs de l'opéra
(comme celui dernier concluant le II: Amero costante sempre), son abattage
ardent et ses mélismes très investis affirme une nature nettement dramatique...
Vif et allusif (II,
air d'une lacrymale mélancolie : Piangero, sin che l'onda del pianto, malgré
quelques ports de voix disgracieux), le contre ténor David DQ Lee relève les
défis du rôle de Ruggiero.
La grande déception
vient du personnage titre. Orlando, distribué à un bayrton, gagne une épaisseur
et une violence mâle que d'autres chanteurs,chanteuses n'avaient pas à leur
actif: parfois patinée la voix de Roccardo Novarro, sans beaucoup d'imagination,
manque d'éclat et de clarté... s'il n'était le continuo tout en relief et souple
accentuation de Sardelli pour le soutenir, sa dernière scène, tragique, qui est
une descente aux enfers de la folie destructrice, est d'une prudence timorée: un
contresens à la passion vivaldienne, si timide et plate quand il faudrait plutôt
rugir et se désespérer...
De toute évidence,
l'aplomb de Basso, la tendresse palpitante d'Arquez font les délices vocaux de
cette version vivaldienne dont le fini instrumental est plus que convaincant:
exaltant, souvent d'une grâce haendélienne ! A part l'Orlando bien pâlot, c'est
une belle réussite
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