Reviewer: Benjamin
Ballifh
À la douleur d'un
Savall endeuillé, les musiciens arméniens réunis dans ce programme apportent
l'éclairage particulier d'une musique touchante, véritable cri et chant de
l'âme, scellant la mémoire toujours vivante et palpitante d'un peuple
particulièrement marqué par la barbarie humaine...
Esprit d'Arménie.
Civilisation chrétienne, ballottée entre orient et occident, soumise aux
pressions musulmanes, tentée par l'orientalisme spirituelle, l'Arménie
millénaire inspire à Jordi Savall ce nouveau périple musical... des plus
passionnants. La tragédie s'inscrit en lettres d'or dans cette série
d'enregistrements datant de mars et avril 2012 à Cordona: les sonorités si
brûlantes du duduk et de la Kamantcha, en solo ou duos, frappants par leur
sincérité blessée et intérieure sont d'autant plus expressifs dans ce titre
qu'ils évoquent aussi la défunte épouse de Jordi Savall, Montserrat Figueras,
disparue en 2012 et qui avait tant de tendresse pour les instruments arméniens.
Éternelle Arménie
A partir du fabuleux
recueil riche en perles musicales insoupçonnées, " Thésaurus " (publié en 1982)
auquel Jordi Savall ajoute plusieurs pièces pour Kamantcha et pour le duduk,
proposées par les musiciens eux-mêmes (en particulier les joueurs de Duduk et de
Kamantcha: Haïg Sarikouyoumdjian et Gaguik Mouradian), le cycle fait se succéder
plusieurs mélodies d'une gravité solennelle et prenante, balancées au diapason
d'une conscience douloureuse qui semble évoquer les terribles événements
historiques de l'âme arménienne; d'ailleurs, le projet artistique comprend
aussi, précieuses explications au programme musical lui-même, des textes engagés
(remarquablement illustrés, relatant l'histoire de la culture arménienne, les
événements du génocide... : " le génocide arménien: une question à résoudre "
par Manuel Forcano).
Chant d'exil,
traditionnels anonymes collectés et transcrits par Komitas (1869-1935), plainte
et chants rustiques... la ligne instrumentale souvent dessinée de façon très
évocatoire par le seul duduk enchante l'esprit: le son porte des blessures
secrètes infinies, saisissantes par leur sérénité et leur puissant appel. à la
paix et à l'harmonie universelle et fraternelle. Même le chant de mariage,
cortège collectif évoqué en plage 9 (" chants de mariage") à deux duduks,
kamantcha et dap semble d'une tristesse incommensurable, d'une torpeur
indicible, étonnante autant qu'envoûtante. Et quand s'élève plage 14, l'air
déchirant par sa simple énonciation et si finement exprimé par Jordi Savall à la
viole de gambe soprano, doublé au duduk (Hayastan yerkir, ode à la patrie de G.
Yeranian (1827-1862), tout aspire à l'apaisement, formidable apothéose et
tombeau bienfaiteur et protecteur pour des temps blessés et des individus
éprouvés. Superbe enchaînement. Fascinant, touchant, planant.
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