Analyste: Laurent
Marty (08/2010)
Des Concertos brandebourgeois à taille
humaine
La réédition de cet
enregistrement vieux de vingt ans, déjà, permet de réévaluer une version plutôt
mal accueillie à sa sortie. Jordi Savall y avait pourtant tenté une vision qui
n’a guère eu de concur-rence depuis.
Car on se trouve moins devant une vision de
chef que devant une version de consort, où des musiciens de valeur dialoguent
amicalement ; parti-pris qui a ses qualités - de chaleur et de plaisir de jouer
ensemble - et ses limites - le souci de précision n’est pas toujours le propos
dominant. Ainsi, mieux vaut oublier le Premier concerto, le plus
orchestral de tous, plutôt brouillon. Cette impression est peut-être plus due à
une prise de son cathédralesque qui relègue les cors en des lointains
réverbérés, qu’à l’exécution elle-même, un peu sage.
Le brouillage de la prise de prise de son,
toujours présent, est moins gênant dans le Concerto n°2. Car, ici, la
perspective chambriste fonctionne admirablement. Le tempo plein de bonhomie
permet un dialogue permanent, et à chacun de phraser avec ampleur. Ampleur est
d’ailleurs le terme qui caractérise le mieux, et d’une façon générale, les
mouvements lents qui chantent toujours largement, avec douceur et retenue. Il
est amusant d’entendre ainsi des baroqueux pur jus s’adonner aussi librement au
plaisir immédiat du chant, avec un vibrato bienvenu des cordes, là où tant
d’autres s’imposent l’atonie sous prétexte d’authenticité.
Toujours chambristes, les Quatrième et
Cinquième concertos nous valent bien quelques débordements de Fabio
Biondi, qui ne peut s’empêcher en tout occasion de faire valoir sa belle
sonorité et son sens du phrasé. Le clavecin de Pierre Hantaï n’est pas en
retrait, loin de là, et sa virtuosité étonnante nous vaut l’une des plus folles
cadences du Concerto n°5 qui soient, saisie d’un véritable souffle
panique.
À ce jeu-là, le
Troisième concerto est concerto grosso italianissime, accentuation
bien marquée, appuis légers et nuances d’une grande finesse, malgré une sonorité
d’ensemble toujours très chaude - marque de fabrique du Concert des Nations. Le
finale, en particulier devient un jaillissement plein d’une profusion de
couleurs, qui débordent toute ligne, contrairement à l’épure à la pointe sèche
que dessinait un Goebel. Confus Savall ? Autant reprocher à Delacroix de n’être
pas Ingres… Le Sixième concerto, le plus français du lot, bénéficie par
contre d’une exécution d’une parfaite netteté - la prise de son y est d’ailleurs
plus proche. Très belles couleurs automnales qui donnent à l’ensemble des
allures pré-brahmsiennes étonnantes.
Inégale,
assurément, et pourtant toujours chaleureuse, musicale, plein d’un plaisir
audible de faire de la musique, de jouer, de chanter, cette interprétation ne se
compare à aucune autre dans la sphère baroque. Assez curieusement, pour l’esprit
plus que par la réalisation et le style, on y trouve quelque chose qui rejoint,
dans ses défauts même, l’antique version de Yehudi Menuhin. Même tentation
chambriste, même goût pour les couleurs saturées et les articulations franches.
Un très bel album qui, malgré ou grâce à ses défauts, et par son approche très
humaine, devrait réjouir plus d’un mélomane. De ceux qui aiment à la fois le
Bach de Casals et celui de Gustav Leonhardt - ce qui n’est pas si incompatible.
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