Analyste:
Après un premier livre-disque
dédié à Miguel de Cervantes, voici un recueil sur la vie de Christophe
Colomb, la découverte du Nouveau Monde, comme l'évocation de l'Espagne des
Rois Catholiques de Castille. Voyage, errance, méditation sur les dérives
des mondes d'hier et d'aujourd'hui, cette édition magistrale nous parle de
"Paradis perdus", ceux qui restent à découvrir tant ils restent encore et
encore inaccessibles...
Nouveau livre-disque, au sujet
épique et poétique : Jordi Savall, après une superbe première édition
associant musique et textes historiques (dédiée à la figure de
Miguel de Cervantès au travers de
son personnage Don Quijote), nous conduit sur les traces de Christophe
Colomb, à la découverte du Nouveau Monde, le 12 octobre 1492, lorsque, du
pont de la Pinta, il aperçoit les premières côtes américaines (Bahamas).
Fidèle à son premier "essai", le voyage qui nous est proposé ici, dépasse le
cadre d'une évocation, pour accomplir la narration d'une épopée musicale,
extrêmement aboutie.
Chronique des Rois de Castille très chrétiens, journal de bord du
voyageur-découvreur et favori de la Reine Isabelle, chants et pièces
musicales évoquent les événements survenus à l'aube de la Renaissance. Exil
forcé des juifs hors d'Espagne (31 mars 1492), conversion forcée des Maures
d'Espagne à la foi catholique (avril 1502) : c'est le récit des temps où la
religion ordonne une reconfiguration radicale de la société hispanique,
l'ère aussi d'un immense espoir, suscité par la découverte du Nouveau Monde.
Enfin, mort de Colomb, le 20 mai 1506, le jour de l'Ascension.
Les évocations musicales ou vocales sont riches et puissamment suggestives.
Mais les textes d'accompagnement qui précisent la figure historique de
l'Amiral et Vice-Roi des Indes découvertes, se révèlent passionnants. En
particulier, dans l'évocation des conflits nés après la découverte où
chacun, héritiers de Colomb, rois de Castille, d'Aragon, de Catalogne, du
Portugal, revendiquent le paiement des richesses liées à l'exploitation du
Continent découvert. Qui était Colomb? Quelles furent ses origines? Fut-il
enfant de Catalogne ou d'origine juive ? Comme le laisserait supposer, dans
son portrait par Sebastiano del Piombo (1519), donc posthume (reproduit en
couverture du livre-disque), le détail des doigts de la main gauche, placés
en étoile à cinq branches, signe cabalistique juif de l'intériorisation et
de la médiation? Quoiqu'il en soit, la figure dépasse l'histoire, rejoint la
légende et offre ainsi, un sujet désigné pour d'amples évocations musicales
comme celles que signe avec maestrià, Jordi Savall.
L'auditeur prendra bénéfice à suivre l'écoute en lisant les textes et les
indications reportés dans le livret. Les fidèles savalliens retrouveront
cette nostalgie rêveuse qui dans chaque tableau poétique, gagne, titre après
titre, tout au long du parcours en deux cds, en profondeur et en humanisme :
que dire de plus de la voix de Montserrat Figueras, à ce que nous avions
éprouvé au sujet de son disque
Lux feminae paru chez le même
éditeur en avril 2006 ? La vibration du chant, plus épanoui que jamais,
semble recueillir toutes les attentes d'une humanité contrainte, ivre
d'espérance. En filigrane du récit, paraît le sentiment d'un regret, celui
d'une ère où juifs, arabes et catholiques vivaient en paix, formant l'Hesperia
primitive. Et si Savall et ses troupes, -solistes, Hesperion XXI et Capella
reial de Catalunya-, militaient allusivement pour ce retour à un temps
pacifié ?
Notre
propre actualité, à l'aube du XXI ème siècle, tend à nous rappeler toujours
ce désir. Évocation historique et musicale certes, mais aussi défense d'une
utopie qui intéresse notre avenir le plus sensible. Ainsi grandeurs et
pertes de la Renaissance espagnole, n'ont jamais tant sonné plus juste
qu'aujourd'hui ; ni l'ensemble de ce cycle musical, enregistré à l'été 2006,
exprimé avec plus d'acuité, la vérité de notre époque : ses doutes et ses
aspirations, ses terreurs et ses espoirs. Un livre-disque absolument
indispensable.
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