Analyste: Sylvain Fort 
     
    Vive Agostino Steffani qui, sous 
    le sceau de l’inédit, permet à Cecilia de plier sa voix à une qualité sonore 
    toujours renouvelée! 
     
    Agostino Steffani le prêtre-espion, le spin doctor du XVIIIe 
    siècle, ce mélange de Mazarin et de James Bond, est-il ici prétexte ? Né en 
    Vénétie, formé musicalement à Munich et Rome, qu’il eût été un homme 
    d’église à la mode du temps impliqué dans les affaires diplomatiques de 
    plusieurs cours, voyageant d’Italie en France et en Allemagne, maître de 
    chapelle de la cour de Hanovre, chargé de missions spéciales pour le Pape, 
    voilà qui ne le qualifie pas pour être un grand compositeur. Mais c’est 
    piquant. D’autant que bien des aspects de sa vie sont obscurs (a-t-il été 
    l’élève de Carissimi ?). Il se peut que «Mission » tire bien un peu beaucoup 
    sur le marketing historique. Mais les pièces réunies ici, tirées de ses 
    opéras, et non des duetti, sont toujours bien écrites, parfois même 
    inspirées. Ne crions pas trop vite au génie, cependant. Le système est tel 
    que l’on est prié de s’extasier devant des tronçons rapportés de la chasse ; 
    d’autant que les airs proposés sont en moyenne très courts. Une belle tête 
    de cheval accrochée au mur ne révèle pas le pur sang. Il faut donc faire 
    crédit à Steffani, et surtout à Cecilia, enthousiasmée par sa découverte. Et 
    reconnaître, par exemple, que Niobe, Regina di Tebe, dont quatre extraits 
    sont ici proposés, doit être un bien bel opéra — avec cet « Amami » 
    accompagné au seul luth, très beau. Le principal, c’est que s’enchaînent les
    battaglie, lamenti, ariosi, permettant de déployer des 
    coloratures infernales, des spianati parfaits, des pianississimi, des
    smorzandi d’outre- monde, tous les affetti possibles, le murmure et 
    l’éclat, la folie et la tendresse. Bref: vive Steffani qui, sous le sceau de 
    l’inédit, permet à Cecilia d’exposer tout l’attirail. Mais c’est qu’il est 
    renversant, cet attirail. Plus que jamais. Parce qu’au-delà des exploits de 
    virtuosité technique dans le déchaînement des vocalises comme dans le 
    spianato le plus soutenu (« Notte amica »), dans la concurrence 
    aux trompettes (par quatre fois ici) comme dans l’évocation nue, on mesure 
    l’approfondissement de Cecilia Bartoli dans cette discipline de la 
    voix-instrument. L’important, ce n’est pas la virtuosité. C’est de plier la 
    voix à une qualité sonore toujours renouvelée. Elle est plus trompette que 
    la trompette dans « Combatte invite », se fait violon dans «Dal 
    mio petto », violoncelle dans « Deh stancati », prend des saveurs 
    de flûte dans «Foschi crepuscoli ». L’art de la vocalise - virtuose 
    ou non - est si raffiné qu’il varie les reflets dans un même mot ou produit 
    des effets d’écho intérieur (« Moriro fra strazi »), et l’on sent 
    poindre plusieurs fois dans l’appui de telle voyelle des parfums d’Orient 
    (« Amami »), comme si Cecilia retrouvait sous ce baroque précoce les 
    racines byzantines du chant italien. Ce n’est plus une voix, c’est une 
    moirure, une étoffe couleur du temps. Il suffit d’écouter les interventions 
    de Philippe Jaroussky pour, sauf son respect, mesurer la différence. Fasolis 
    et ses Barrochisti offrent à la chanteuse un miroir chatoyant, où elle se 
    mire sans retenue - portant à son comble l’art baroque des reflets infinis 
    et changeants, de la métamorphose impalpable : inouï.   
    
    
    
    
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