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Classica # 146 (10/2012)
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Decca
4784732



Code-barres / Barcode: 0028947847328 (ID243)
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Appréciation d'ensemble / Overall evaluation :
Analyste: Sylvain Fort
 

Vive Agostino Steffani qui, sous le sceau de l’inédit, permet à Cecilia de plier sa voix à une qualité sonore toujours renouvelée!


Agostino Steffani le prêtre-espion, le spin doctor du XVIIIe siècle, ce mélange de Mazarin et de James Bond, est-il ici prétexte ? Né en Vénétie, formé musicalement à Munich et Rome, qu’il eût été un homme d’église à la mode du temps impliqué dans les affaires diplomatiques de plusieurs cours, voyageant d’Italie en France et en Allemagne, maître de chapelle de la cour de Hanovre, chargé de missions spéciales pour le Pape, voilà qui ne le qualifie pas pour être un grand compositeur. Mais c’est piquant. D’autant que bien des aspects de sa vie sont obscurs (a-t-il été l’élève de Carissimi ?). Il se peut que «Mission » tire bien un peu beaucoup sur le marketing historique. Mais les pièces réunies ici, tirées de ses opéras, et non des duetti, sont toujours bien écrites, parfois même inspirées. Ne crions pas trop vite au génie, cependant. Le système est tel que l’on est prié de s’extasier devant des tronçons rapportés de la chasse ; d’autant que les airs proposés sont en moyenne très courts. Une belle tête de cheval accrochée au mur ne révèle pas le pur sang. Il faut donc faire crédit à Steffani, et surtout à Cecilia, enthousiasmée par sa découverte. Et reconnaître, par exemple, que Niobe, Regina di Tebe, dont quatre extraits sont ici proposés, doit être un bien bel opéra — avec cet « Amami » accompagné au seul luth, très beau. Le principal, c’est que s’enchaînent les battaglie, lamenti, ariosi, permettant de déployer des coloratures infernales, des spianati parfaits, des pianississimi, des smorzandi d’outre- monde, tous les affetti possibles, le murmure et l’éclat, la folie et la tendresse. Bref: vive Steffani qui, sous le sceau de l’inédit, permet à Cecilia d’exposer tout l’attirail. Mais c’est qu’il est renversant, cet attirail. Plus que jamais. Parce qu’au-delà des exploits de virtuosité technique dans le déchaînement des vocalises comme dans le spianato le plus soutenu (« Notte amica »), dans la concurrence aux trompettes (par quatre fois ici) comme dans l’évocation nue, on mesure l’approfondissement de Cecilia Bartoli dans cette discipline de la voix-instrument. L’important, ce n’est pas la virtuosité. C’est de plier la voix à une qualité sonore toujours renouvelée. Elle est plus trompette que la trompette dans « Combatte invite », se fait violon dans «Dal mio petto », violoncelle dans « Deh stancati », prend des saveurs de flûte dans «Foschi crepuscoli ». L’art de la vocalise - virtuose ou non - est si raffiné qu’il varie les reflets dans un même mot ou produit des effets d’écho intérieur (« Moriro fra strazi »), et l’on sent poindre plusieurs fois dans l’appui de telle voyelle des parfums d’Orient (« Amami »), comme si Cecilia retrouvait sous ce baroque précoce les racines byzantines du chant italien. Ce n’est plus une voix, c’est une moirure, une étoffe couleur du temps. Il suffit d’écouter les interventions de Philippe Jaroussky pour, sauf son respect, mesurer la différence. Fasolis et ses Barrochisti offrent à la chanteuse un miroir chatoyant, où elle se mire sans retenue - portant à son comble l’art baroque des reflets infinis et changeants, de la métamorphose impalpable : inouï. 

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