Analyste: Vincent Borel
Texte abrégé:
Si cet opéra en dentelles obtint l’amour
des mélomanes de Vicenza en 1713, il conquiert aussi le nôtre. L’oeuvre est
sophistiquée, une pastorale politique où les jardins connaîtraient des
passions impériales. Sans même se perdre dans les bosquets du livret, ce
Vivaldi a l’immédiateté d’un Chopin rococo. Rien à voir avec la décevante
Armida al campo d’Egitto,e précédent volume. Le premier acte s’achève dans
une furia excitante, le second bascule dans l’arrache-coeur avec les minutes
sublimes de L’ombre, l’aura. Une suspension temporelle où s’impose
Julia Lezhneva, une soprano russe possédant la douceur faussement fragile de
Simone Kermes, comme son agilité. Elle est la révélation de cet Ottone
où la nature admoneste les coeurs. Le Giardino Armonico tient là partition à
sa mesure. La délicatesse impose d’éviter le mièvre et le morne. Il y faut
aussi de la fantaisie dans la durée. Moins lisse qu’Alessandrini, moins
horloger que Biondi,le continuo du Giardino est un nuancier; ses cordes
braves et sans tapage, ses vents un adroit pinceau. On se rejouera de
récents Concertos grossos de Haendel (Oiseau Lyre) riches de cent subtilités
: l’ensemble italien n’est guère éloigné du son Hogwood. C’est une eau-forte
effilée, ignorant l’esbroufe et souffrant l’écoute répétée sans lasser ni
faillir. Une judicieuse distribution nous rapporte le timbre prenant de
Veronica Cangemi. Dans l’héroïque travesti: Sonia Prina. Cette alto rare,
souvent univoque dans la caractérisation, qu’elle incarne un Orlando
haendélien ou un travesti rossinien, ici séduit, généreusement aidée par un
Vivaldi prestidigitateur (la presque barcarolle de
« Compatisco il tuo fiero tor mento! »). Roberta Invernizzi possède
ce piquant agile, auquel répond le mâle Toppi Lehtipuu. On s’inquiète
cependant pour son aigu raidi. Il serait dommage de voir se dégrader trop
vite l’un des meilleurs ténors baroques. Si cet Ottone in Villa,
enregistré comme a fresco, n’a pas la puissance tragique d’une Arsilda ou
d’un Tito Manlio, il mousse comme un Tiepolo.
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