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Appréciation d'ensemble / Overall evaluation : | |
Analyste: Philippe Venturini
Une redécouverte
Il est vrai que Bononcini se montre moins immédiatement séduisant que ses contemporains Caldara et Vivaldi, compositeurs italiens également actifs à Vienne. Toutes proportions gardées, la gestion des lignes évoque plutôt Bach qui peut faire circuler les mêmes motifs entre les voix et les instruments et recourt abondamment à l’écriture en imitation. C’est l’impression que laisse la messe, plus orante que triomphale et essentiellement confiée à des tonalités mineures. L’église conserve indéniablement sa majesté empesée. Le Stabat Mater s’aventure davantage dans les dissonances, les modulations et les échanges entre solistes et instruments. Il faut du souffle et de la conviction pour soutenir ces deux vastes compositions, trois bons quarts d’heure pour la messe et une demi-heure pour le Stabat Mater, qui ne prennent pas l’auditeur par la main et limitent l’orchestre aux seules cordes. Rinaldo Alessandrini se montre l’homme de la situation et prouve sans peine, dans cette captation de concert réalisée au Konzerthaus de Vienne, le bien-fondé de son entreprise. II parvient à délacer cette riche polyphonie (Credo) sans la priver de l’indispensable motricité de la basse continue (la régularité des croches dans le « Gloria in excelsis Deo ») ni d’une large palette de nuances. II révèle également avec son élégance rigoureuse les illustrations musicales du texte noueux du Stabat Mater: l’hallucination collective du «Fac meplagis vuinerari » et la menace du Jugement dernier. A un ensemble instrumental et choral très homogène, le chef a associé un groupe de chanteurs aux timbres clairement différenciés toujours au service du texte: l’humilité bienveillante du Benedictus ou l’affliction digne de l’irremplaçable Sara Mingardo dans « Fac me vere tecum flere ». On aimerait pouvoir réentendre un tel programme au concert.
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Entretien avec Rinaldo Alessandrini
L’oreille curieuse Le Concerto Italiano avait déjà interprété son Stabat Mater en 1990. Cette oeuvre m’avait fait forte impression par son écriture très travaillée où les lignes mélodiques sinueuses révèlent les tourments du texte. Je pense aujourd’hui encore que c’est un des plus grands Stabat Mater du répertoire. Je savais par ailleurs que Bononcini avait composé d’autres pièces sacrées. L’existence d’une messe à cinq voix me semblait prometteuse. Je n’ai pas été déçu. Disposiez-vous d’une partition éditée? Non, la messe n’existe qu’à l’état de manuscrit à la bibliothèque du Conservatoire de Florence. Le concert et l’enregistrement la font donc entendre en première mondiale. Par ailleurs, j’ai voulu avoir connaissance du manuscrit du Stabat Mater, conservé à la bibliothèque de Modène, ville de naissance des Bononcini. A partir de ces documents, j’ai établi ma propre édition. Sait-on pour quelle occasion elles ont été composées et à qui elles étaient destinées? Non, on n’en sait rien. On ne sait même pas si elles ont été écrites à Modène ou à Vienne, où les frères Bononcini brillèrent à la cour de Léopold 1er et Joseph 1er. Il paraît que le Stabat Mater appartient toujours au répertoire de la cathédrale de Modène mais j’ignore comment il y est chanté. Vous restez fidèle aux voix féminines pour la tessiture d’alto, même si on remarque la présence d’un contre-ténor... En effet je ne cache pas mon peu de goût pour les voix de contre-ténor, qui n’existaient pas à l’époque puisque ces parties étaient chantées par des castrats. Je leur reproche leur fragilité et leur instabilité. Celui que j’ai choisi a la particularité de posséder un vrai registre grave, indispensable dans la messe. Comment définir le style de Bononcini? Il illustre la richesse de cette époque de transition entre les XVIIe et XVIIIe siècles, où l’envie de textures plus légères porte encore le poids de la théorie. Mais si j’aime les musiques compliquées, j’aime avant tout les belles musiques. Cela reste pour moi le critère essentiel.
Ce disque rappelle votre intérêt pour les compositeurs
oubliés ou méconnus. Propos recueillis par Philippe Venturini – Classica # 146, octobre 2012, p.75
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