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Classica # 147 (11/2012)
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Evil Penguin
EPRC012



Code-barres / Barcode: 5425008377544 (ID255)
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Appréciation d'ensemble / Overall evaluation :
Analyste: Philippe Venturini
 

On pensait l’affaire entendue. Après un premier essai en 1989-l990, Pieter Wispelwey avait en effet réenregistré en 1998, toujours pour Channel Classics, des Suites pour violoncelle accueillies par une reconnaissance unanime et internationale. Mais l’artiste a décidé à l’occasion de ses cinquante ans de remettre le recueil sur le métier en sollicitant deux musicologues et musiciens renommés, Laurence Dreyfus et John Butt. Un documentaire de cinquante-deux minutes gravé sur un DVI) bonus relate ce travail (voir aussi l’interview page 77).

Si Pieter Wispelwey a remplacé son instrument de Barak Norman de 1710 par un violoncelle de Pieter Rombouts de la même année, il a surtout baissé le diapason ce qui distingue notablement les deux versions. Passer des 415 Hz du modèle baroque traditionnel à 392 Hz, soit un demi-ton plus bas, pourrait n’intéresser que quelques spécialistes ou musiciens à l’oreille absolue. Cela se révèle fondamental. Bien plus que le changement de fréquence, la modification de la tension des cordes oblige à profondément adapter le jeu ce que ne peut distinguer le chronomètre. Même si, dans l’ensemble, la présente version se montre un peu plus rapide que la précédente, c’est dans l’articulation des phrases, son organisation en carrures, les respirations et le rubato que s’inscrivent les différences.

On considérait l’enregistrement de 1998 comme un modèle de liberté, il devient soudain un étalon du classicisme. Pieter Wispelwey prête la parole à un violoncelle plus volubile que jamais mais aux idées toujours claires, souvent rustique mais capable de soigner son élocution, creusant le texte (la résonance des cordes à vide) sans jamais alourdir le geste. C’est bien là la force de ce nouveau Bach : il n’hésite pas à s’élancer dans des courantes et des gigues chaussé de sabots qu’il abandonne dès qu’il s’abîme dans la contemplation d’une sarabande. Ce Bach poète et paysan parle une langue universelle qui dit l’essentiel.

Cette dernière version de Pieter Wispelwey s’ajoute désormais aux grandes interprétations historiques : Bylsma-Sony, Casals-EMI, Cocset-A1pha, Mork-Virgin.  

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Entretien avec Pieter Wispelwey
Classica # 147, novembre 2012, page 77

Bach côté sauvage

Rencontre avec le violoncelliste qui vient d’enregistrer pour la troisième fois les six suites pour violoncelle seul de Bach


Votre précédent enregistrement avait fait l’unanimité. Vous n’en étiez pas satisfait?

Si, si, j’en apprécie encore le son, la souplesse, la spontanéité. Mais je pensais pouvoir aller plus loin) c’est-à-dire alléger encore le geste, privilégier les levées et l’élan rythmique. Cette nouvelle version se montre ainsi un peu plus rapide et fait plus danser les sarabandes.

Concevez-vous cette nouvelle interprétation par la lecture d’écrits théoriques, d’études historiques et stylistiques?

J’ai en effet beaucoup lu et consulté deux musicologues de renom, John Butt et Laurence Dreyfus. Il faut écouter les maîtres mais ensuite l’artiste doit se rebeller, oublier les traditions et les habitudes. Il est bon de savoir parler la langue mais il ne faut pas avoir peur d’y ajouter sa personnalité. Je ne prétends pas jouer de façon authentique. Mon authenticité se trouve dans l’inspiration. Quand on commence à jouer, il n’y a pas moyen de modifier ce que l’on veut dire. N’oublions pas que Bach lui-même bousculait les règles. Il composait à l’encontre du goût dominant. Il était jeune et vigoureux quand il composa ces Suites. Ce n’était pas le vieux maître tel que l’a peint Haussmann. A l’époque, il cherchait, il essayait, il osait. Il aime jouer avec les modèles évoquer ici une ouverture à la française, là un concerto. Sa musique se montre même parfois excentrique ce qui est une des composantes de l’art baroque.

Vous avez changé de violoncelle pour les cinq premières Suites. Est-ce que l’instrument peut guider l’interprétation?

En adoptant cet instrument de Pieter Rombouts de 1710 et en choisissant un diapason bas, à 392 Hz, j’ai trouvé des couleurs et une expression nouvelles mais aussi une rusticité souvent insoupçonnée ou à peine assumée. Si l’on excepte les allemandes et les sarabandes, la majorité des danses présentent des passages où le bon goût n’a plus vraiment sa place, où la musique devient sauvage et quitte la cour pour la rue. Bach agit parfois par provocation, parfois par jeu.

La tonalité a-t-elle une influence sur le caractère de chaque Suite?

Oui, bien sûr, une gigue en ré mineur n’est pas identique à une gigue en do majeur. La sarabande en mi bémol, très inventive, très lyrique mais introvertie, se montre également très différente de celle en sol majeur, très simple, plus avenante. En général, la tonalité de mi bémol n’est d’ailleurs pas très confortable pour le violoncelle. La musique va un peu contre l’instrument. Sans doute Bach cherchait-il des sons inouïs avec peu de cordes à vide, donc moins de résonance. Il est ainsi impossible de jouer très fort la Suite en mi bémol sur un violoncelle baroque. Elle évoque un autre monde, voire un autre instrument comme le luth. Il n’est pas facile de savoir ce que Bach avait en tête. On peut même considérer un peu ridicule l’idée de composer pour un violoncelle seul quand on peut disposer d’un grand orgue ou d’un choeur et d’un orchestre pour construire d’imposantes Passions.

Propos recueillis par Philippe Venturini

 

  

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