Analyste: Philippe Venturini
La bonne recette de Rousset
CHRISTOPHE
ROUSSET NOUS RESTITUE LES OEUVRES POUR CLAVECIN DE JACQUES DUPHLY, NI TROP
SALÉES, NI TROP SUCRÉES MAIS VIRILES ET SINCÈRES.
Gustav Leonhardt considérait son intérêt pour Jacques Duphly
presque comme une faiblesse, une faute de goût pour une musique qui cherche
la séduction plus que l’élévation. Si elle ne mène pas sur les mêmes chemins
que celles de Sweelinck, Frescobaldi ou Bach, elle met si bien le clavecin
en valeur et déborde d’une telle imagination qu’elle ne peut que saisir son
auditoire. Surtout si elle dispose de doigts aussi déliés et d’un esprit
aussi pénétrant que ceux de Christophe Rousset. On a beau le savoir,
l’artiste nous étonne à chaque fois par l’extraordinaire souplesse de son
toucher et l’intensité de son expression. Il suffit d’écouter le premier
numéro de cette anthologie de vingt-sept pièces récoltées au gré des quatre
livres que laissa Duphly pour s’en convaincre. Le naturel du phrasé, pris
dans un tempo plutôt allant, la sûreté de la main gauche, l’expressivité de
la main droite, la fluidité du troisième couplet en écriture luthée
confèrent à cette Forqueray une noblesse et une densité
incomparables, échos de la voix grave de la basse de viole que pratiquait
l’intéressé. De même, La Pothoiün dont le mouvement régulier évoque celui
des Barricades mystérieuses de Couperin, conserve une tenue et une allure
imperturbables à travers les zig-zags du rondeau. Dans les pièces plus
directe ment descriptives telles La Victoire ou La Médée qui
semblent la réduction d’un opéra, Christophe Rousset n’hésite pas à faire
entrer l’orchestre dans son instrument sans pour autant perdre le contrôle
de la polyphonie ni à le réchauffer d’un soleil scarlattien (La Damanzy).
Et quand il doit s’abandonner au pouvoir des Grâces (« Tendrement »,
extrait du Troisième livre), l’artiste ne perd jamais la ligne directrice et
n’amollit pas le trait même si les infimes décalages entre les deux mains
participent à la continuité d’une ligne qui semble infinie. Christophe
Rousset explique d’ailleurs avoir voulu s’écarter d’interprétations «
sucrées ou poudrées » pour restituer à Du- phly, avec la complicité du fier
clavecin Kroll, « sa virilité, la gravité de certains traits, la sincérité
de son geste. » Il rappelle que sous Louis XV oeuvraient Boucher mais aussi
Chardin.
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