Critique:
Camille de Joyeuse
Le Savallisme rayonnant de la
gravure -raffinement sonore et expressivité fluide et mordante- met en
lumière le génie de l'Orphée Britannique. Le compositeur baroque ne pouvait
espérer meilleure illustration de son génie. Réédition majeure d'autant plus
opportune pour l'année Purcell 2009
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Enregistré en 1996, ici remasterisé et même sublimé par l'amplification et
la profondeur nouvelle permises par le sacd, voici l'un des joyaux
incontournables réalisés par Jordi Savall en terres purcelliennes.
Entre 1690 et 1692, soit au terme
d'une carrière musicale fauchée trop tôt, Purcell développe son langage
théâtral dans le genre "semi opéra", spécifiquement anglais (la musique
s'intercale entre des scènes parlées: le public londonien rechigne à
applaudir les oeuvres continûment chantées), même si
Didon et Enée (1692) peut être à juste
titre, considéré comme un opéra proprement dit.
The Prophetess qui regroupe l'ensemble
de la musique de scène de Diocletian,
débute par une série de séquences (First et Second Musik) d'une solennité
toute lullyste, marquant par sa grandeur et sa majesté dansante, l'influence
du style de la Cour contemporaine de Louis XIV: d'ailleurs, sous le règne de
Charles II (décédé en 1685), Purcell, fidèle sujet, s'est montré perméable
au goût résolument français du souverain Stuart. Mobile, versatile, d'une
aisance d'assimilation stupéfiante voire universaliste, Purcell aspire les
tendances majeures de son époque: et quand les souverains Marie (de Modène)
et Guillaume d'Orange montent sur le trône (après la fuite de Jacques II,
frère de Charles II), le compositeur sait tout autant italianiser son
écriture, en conformité à la sensibilité des nouveaux monarques...
Pour l'heure,
le programme illustre justement cette prodigalité du style purcellien à une
époque où l'Italie domine: les Souverains invitent Draghi et financent même
une nouvelle chapelle Royale, explicitement italienne (quitte à abandonner
La Chapelle antérieure authentiquement anglaise dont Purcell est le plus
brillant représentant...).
Savall apporte chez l'Anglais, une souplesse remarquable, doublée d'une
diversité dynamique stupéfiante, qui réalise et l'élégance d'un musicien de
Cour, et sa prodigieuse passion de la scène dramatique, entre expression et
danse: écoutez aussi de The Prophetess,
la danse des furies (véhémence articulée des seules cordes!).
Même si l'allégeance de Purcell aux Italiens est évidente (Corelli),
l'influence française (Lully) est grande encore dans les années 1690:
The Chair dance fait resplendir une
musique pleine de grâce, de grandeur et de nostalgie avec cette coloration
humaine et profonde que réussit pleinement Jordi Savall et les musiciens du
Concert des nations.
Les 5 actes de The Fairy Queen d'après
Shakespeare (A Midnight Summer's dream),
dévoile l'imagination sans limite d'un Purcell immensément doué, inspiré
avant Mendelssohn, par l'enchantement et la féerie shakespeariens. Le
surnaturel et le fantastique, rehaussés par la danse et la diversité des
couleurs instrumentales offrent aux interprètes une somptueuse partition,
faite d'éclats et de poésie (subtilité et finesse du geste pour les
Hornpipes, 9 puis 25). Savall, maître absolu des contrastes, de la fluidité
fruitée des sonorités, sait construire le drame sous-jacent en variant
toujours, grâce à une éloquence allégée, jamais plombée, qui fait aussi le
génie de sa lecture d'un autre "grand anglais", Haendel (voir son approche
indéclassable de la Water Music,
talonnant de près le champion du raffinement anglais monarchique, Gardiner
et ses English Baroque Solists).
Sans diluer la cohérence de ton et la justesse de l'architecture, Savall
s'ingénie à colorer en profondeur chaque épisode: grâce légère et diaphane
du rondeau; nervosité sautillante de la jig conclusive du I; gazouillis
aérien et délicieusement badin du chant des oiseaux au II: appel à la pure
rêverie; grandeur et maintien lullystes du 21; tempérament martial des
superbes trompettes, avec échos et réponses spatialisées pour l'entrée de
Phoebus (27)... que n'aurait certes pas renié le Roi-Soleil à Versailles.
Chaque instrumentiste sait aussi caractériser sa ligne sans jamais mettre en
péril le formidable allant collectif (précision jubilatoire des bois et
ampleur oxygénée des cordes dans la danse de la femme et de l'homme chinois
en forme de Chaconne, 33). Saluons Alia Vox de rééditer ce monument à la
gloire purcellienne, d'autant plus opportun en 2009, année des célébrations
en hommage au musicien (350 ans de sa naissance). Le Savallisme rayonnant de
la gravure -raffinement sonore et expressivité fluide et mordante- met en
lumière le génie de l'Orphée Britannique. Le compositeur baroque ne pouvait
espérer meilleure illustration de son génie.
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