Critique:
Benjamin Ballifh
Retour ici au rythme, à la
pulsion, de la danse (électricité des jigs) qui se fait transe et mystique.
Entre le geste libéré et la méditation, le chant de Jordi Savall approche ce
qui lui tient à coeur: la vérité humaine, celle liée à la transmission qui
dans l'oralité a permis que soit préservé un jeu ancestral de très ancienne
mémoire. Récital solo époustouflant, essentiel, d'une épure incandescente,
Maître Savall réenchante les mélodies celtiques sur 3 dessus de viole
captivants
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La Viole celtique est pour Jordi Savall le dessus de viole qui relit dans ce
programme jubilatoire tubes et standards irlandais ou écossais. Hymne,
défense, illustration du dessus de viole en terres celtiques. Si le violon
s'est depuis imposé, les sources indiquent clairement un ensembles de
tablatures de... dessus de viole, de surcroît dans le style celtique. Si,
si... Jordi Savall, apôtre d'une nouvelle vision, rétablit à sa source la
musique baroque celtique. Ce nouveau disque nous en apporte une brillante
démonstration. Et ce, dès le début du 17è. Ainsi l'atteste le manuscrit
qu'il a repéré dans la bibliothèque de Manchester (Manchester Gamba Book).
Un filon semé de pépites pour un nouveau récital discographique, confondant
de beauté sonore et d'accomplissement dans le geste interprétatif (tenue de
l'archet en particulier).
L'interprète s'y démontre ambassadeur éloquent et fluide prêt à nous montrer
la diversité des accords (jusqu'à 20 scordaturas différentes), parfois
proche du luth, de la guitare, de la viole de gambe bien sûr, qui
permettent, comme en étaient familiers les instrumentistes anglais baroques,
une fantaisie, une liberté de ton, stimulantes.
Jordi Savall, en maître des tierces, quartes et quintes sait aussi préserver
et sculpter les ressorts des bourdons. En terme de sonorité, Jordi Savall
déploie en solo le timbre si fin et délicat, cristallin et arachnéen de
l'instrument de dessus. A découvert, sous l'impact fluide du geste (un coup
d'archet idéal!), le son jamais étroit, sec, tendu, ni aigre, s'épanouit
avec une poésie et une profondeur captivantes. Jordi Savall apporte une
nuance sonore particulière et spécifique, celle du dessus de viole
ordinairement "fondu" et dilué dans l'orchestre baroque: plus fin que la
viole, moins puissant que la violon (ses cordes sont moins épaisses), le
dessus de viole dessine ce chant lointain, à l'éloquence diffuse et comme
aiguillée, cependant riche en grave (l'instrument a de 5 à 6 cordes selon
les modèles). En définitive, dans cet enregistrement, Savall fait un
ressource aux sources, il rétablit à la musique d'Irlande et d'Ecosse, son
âme et sa profondeur baroque. Ici, dans la presque trentaine de pièces
retenues, l'instrument dévoilé chante seul (12) ou dialogue (17 morceaux)
avec la harpe gaélique ou le psaltérion (cloches dans Hard is my fate) de
Andrew Lawrence-King qui apporte les fruits de ses improvisations respectant
les pratiques de l'époque... Il s'agit de s'écarter de la tradition
folklorique destinée aux pubs irlandais, pour amuser et divertir par de
courtes séquences, les buveurs de bière. Mais l'interprète sait aussi
reconnaître (et s'inspirer de leur intuition géniale) de James Scott Skinner
et Joe MacLean (dont il a écouté les enregistrements des années 1920).
Retour ici au rythme, à la pulsion, de la danse (électricité des jigs) qui
se fait transe et mystique. Entre le geste libéré et la méditation, le chant
de Jordi Savall approche ce qui lui tient à coeur: la vérité humaine, celle
liée à la transmission qui dans l'oralité a permis que soit préservé un jeu
ancestral de très ancienne mémoire. Récital solo époustouflant, essentiel,
d'une épure incandescente, a contrario de l'expérience plus exubérante des
Witches, tout aussi ensorcelants dans le même répertoire.
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