Critique:
Benjamin Ballifh
Avec le recul, cette
version de 1988, remastérisée en 2007, ne connaît pas d'équivalent dans
toute la discographie. Presque 20 ans après sa réalisation, sa tenue
artistique, sa cohérence, son esthétisme continuent de nous captiver.
Voici
une gravure qui souligne la troublante cohérence d'une oeuvre dont la
conception prête encore à d'innombrables hypothèses. Reconnaissons à Savall,
la vertu de la clarté: pour lui, le Vespro (ou Vêpres de la Vierge),
foisonnant recueil de partitions sacrées de styles différents (antico et
moderno, prima et secunda prattica), aurait été tout d'abord composé pour la
Basilique Santa Barbara de Mantoue, sous la nef de laquelle le présent a été
enregistré en 1988 et remastérisé en 2007. L'ampleur étagée du spectre
sonore, autant instrumental que vocal, la spacialisation sont autant de
critère esthétiques qui rentrent en compte pour l'appréciation au plus juste
de la présente lecture. Pour le chef de la Capella Reial à laquelle se
joignent le Coro del Centro musica antica di Padova et la Schola Gregoriana,
tout est indiqué dans le titre même du recueil "Beata Vergine": il s'agit
bien d'une approche ponctuée de gradations sensibles, où fusionnent tous les
effectifs (solistes, choristes et instruments): de l'imploration théâtrale à
la béatitude, avec toujours cette
atténuation articulée du verbe, qui opère jusque dans les fastes célestes et
éthérés du Magnificat final, une mise à
distance. Ajoutons à cela, des tempi plus ralentis qu'ailleurs, et dans le
geste des dynamiques, comme plus supendues, mystérieuses, suggestives: nous
voici bien devant une composition vertigineuse par les perspectives des
prières et des hymnes, mais non pas terrifiante, plus sereine, accueillante,
"humaine": il n'est pas de divinité du panthéon chrétien, plus
miséricordieuse et compassionnelle que la Vierge, aimante, fraternelle,
compatissante. Le sentiment constant de tendresse et de paisible ferveur qui
enveloppe chaque intonation, chaque phrase musicale, souligne cet équilibre
de la douceur.
Publié en 1610, le Vespro que nous connaissons dans son édition dédiée au
Pape, pourrait bien ainsi, avoir été tout d'abord conçu pour la chapelle
Sainte-Barbe qui constituait aux côtés de la chapelle palatine dont
Monteverdi était directeur, le second foyer musical mantouan. La dévotion à
Sainte-Barbe serait en effet attestée, entre autres, par la présence du
Concerto: "Duo Seraphim" dont le sujet
de la Trinité rappelle l'un des aspect essentiels de la dévotion à la
Sainte. Travail sur l'équilibre murmuré des pupitres, somptuosité brûmeuse
de l'instrumentarium (qui compte parmi ses rangs: le théorbe de Rolf
Lislevand, le chitarrone de Stephens Stubbs, les flûtes de Pedro Memelsdorff,
la viole de gambe de Paolo Gandolfo, l'orgue de Rinaldo Alessandrini...)
mais aussi des choristes, arches fusionnées des voix solistes dont la
"fragilité" exprime et l'intensité et l'humilité des prières et des hymnes,
vision d'ensemble traçant une perspective continue dans le sens d'une
élévation, jusqu'au couronnement final du
Magnificat,...: Jordi Savall signe ici l'une des versions du
Vespro parmi les abouties. D'autant
plus captivante qu'elle s'inscrit a contrario de toutes celles connues
(Christie, Alessandrini, King, McCreesh...), plus théâtrales, dramatiques,
plus contrastées sur le plan des timbres, plus "plébéiennes" dans leur
conception moins unifiée. Aucune n'atteint un tel sentiment de piétisme
intense et fusionnel, d'accomplissement et de ravissement dans l'essor
fervent. D'ailleurs, le Couronnement de la
Vierge de Filippo Lippi, élève de Botticelli, qui illustre le visuel de
couverture, nous rappelle combien ici l'humanité et l'émotion sont deux
qualités primordiales du sentiment de dévotion. Avec le recul, cette version
de 1988, remastérisée en 2007, ne connaît pas d'équivalent dans toute la
discographie. Presque 20 ans après sa réalisation, sa tenue artistique, sa
cohérence, son esthétisme continuent de nous captiver.
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