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Diapason # 731 (03/2024)
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Château de Versailles
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Analyste: Loïc Chahine

Le 15 mars 1694, l'Académie royale de musique représente pour la première fois de son histoire un opéra composé par une femme : Céphale et Procris d'Elisabeth Jacquet de La Guerre. En son temps, l'œuvre n'a guère de succès et n'est jouée à Paris que cinq ou six fois, sans y être reprise ensuite. Le livret, relève Catherine Cessac, « souffre d'une absence de tension dramatique ». De fait, certains points interrogent, comme l'ajout d'une intrigue secondaire entre les suivants Arcas et Dorine, sans véritable développement, ou le revirement de l'Aurore au dernier acte - qui ne change rien au cours des évènements mais confère au moins un peu d'épaisseur au personnage, les autres n'en ayant guère.

La partition, en revanche, captive par un langage aux tours personnels. Si la compositrice a bien assimilé l'idiome laissé par Lully (jusqu'à l'usage des tonalités), elle y glisse de menues nouveautés. Les récits et petits airs, très soignés, s'autorisent richesses harmoniques et surprises. Abondent retards et dissonances (notamment dans les duos), modulations audacieuses (acte V, scène 4, par exemple), chromatismes, toujours au service du texte.

Après Jean-Claude Malgoire en 1989-1990, Daniela Dolci et Musica Fiorita avaient donné à Vienne et enregistré Céphale et Procr is en 2008 (ORF). Mais il revient aux nouveaux venus d'en offrir la vraie défense et illustration. Au sein d'une distribution vocale de haut vol, brille d'abord la haute-contre engagée, élégante, aussi héroïque que tendre, de Reinoud Van Mechelen. Il rend touchant le personnage de Céphale et déploie de véritables enchantements vocaux (la fin est bouleversante). Face à lui, la Procris de Déborah Cachet possède un timbre très séduisant, empreint de noblesse. Sa déclamation, posée sur un souffle long, a fière allure - superbe monologue au début du II ! L'allure, le sens de la déclamation ne manquent pas non plus à Ema Nikolovska (l'Aurore). La mezzo fait un sort à chaque mot, à chaque pensée du livret, et tant pis si la générosité de la voix - d'aucuns n'aimeront pas son timbre opulent - mange un peu le texte çà et là. Le Borée de Lisandro Abadie a toute la dignité requise. Le baryton-basse maîtrise l'ensemble de l'ample tessiture et déclame, lui aussi, avec beaucoup de classe, une connaissance du style et une retenue aristocratique très en situation. Parmi les seconds rôles, plus inégaux, mention spéciale à Gwendoline Blondeel qui, si elle n'a que (trop) peu à chanter, fait mouche à chacune de ses apparitions - son soprano plein de charme nous offre un bonheur sans nuage.

Ce beau monde, qui adopte une prononciation « restituée » pas toujours très cohérente, est soutenu par un continuo de première force, un orchestre discipliné aux sonorités généreuses, que Van Mechelen dirige avec délicatesse. Revers de la médaille : un certain refus du triomphal par endroits où le chef pourrait s'autoriser un éclat plus franc. Les effets sont gradués et nombre de pages construites dans un discret crescendo. Le Chœur de chambre de Namur se révèle tout aussi excellent, attentif au texte et à ses phrases, aux textures, avec une variété bien dosée. Pour goûter pleinement l'opéra de Jacquet de La Guerre, c'est ici.



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