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Diapason # 720(03/2023)
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Analyste: Jean-Christophe Pucek

 

À l'heure où les interprètes l'abordent souvent dans une adaptation pour ensemble instrumental, ils ne sont plus si nombreux à se lancer, au clavecin, dans L'Art de la fugue . Les plus téméraires, ceux qui entreprennent seuls l'ascension, se réduisent même à une poignée. Même Gustav Leonhardt, dans son enregistrement de 1969 (DHM), conviait dans les Contrapuncti XII et XVIII Bob Van Asperen (qui en signe par ailleurs une version partiale mais de grande classe pour Aeolus, 2018).

Le maître amstellodamois, dont Kenneth Weiss fut l'élève, écartait le Contrapunctus XIII au profit du XVIII, qui en est la version élargie à quatre voix. Weiss fait le choix inverse. Il retient aussi les quatre canons, utilisés comme ponctuation : le premier isole le bloc des quatre fugues simples ; les autres s'insèrent avec naturel dans le flux narratif. Réalisant un véritable tour de force, Weiss déroule L'Art de la fugue comme une histoire, loin des visions plus cérébrales (celle d'un Fabio Bonizzoni chez Glossa, par exemple), et fait pénétrer les passions, sans jamais rogner sur la rigueur dans la conduite des voix. L'architecture est maîtrisée, magnifiée par l'impulsion vitale qui la traverse.

Malgré l'omniprésence de la tonalité de rémineur, rien n'est ici monochrome : l'appel des oiseaux apporte au Contrapunctus IV une discrète touche naturaliste, le VI revêt, par ses notes pointées, une solennité à la française. Voyez aussi le sentiment tragique né des chromatismes du VIII comme ceux, crânement assumés, qui font ricocher le cours farouche du IX , lui-même prolongé par les tourbillons du Canon alla ottava.

Les ondoiements du X, la tranquillité apparente du XII , l'humeur primesautière et un peu narquoise du XIII : voici un parcours où le cadre strict n'emprisonne jamais l'imagination.

Servi par les couleurs chaleureuses du Taskin (1782) du Musée de la musique de Belém, cet Art de la fugue selon Kenneth Weiss, par la clarté de ses idées, son engagement, sa sensibilité, se fait une place parmi les sommets de la discographie.

 

 

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