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Classica # 246 (10/2022)
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Analyste: Philippe Ventrini

 

Royal séjour

 

Depuis le réveil matin jusqu’à la nuit étoilée, Céline Frisch décline sur la palette chromatique du clavecin une journée à la cour de Louis XV. Cette « Journée avec Louis XV » s’organise chro-nologiquement en cinq temps. Elle débute avec tonicité mais sans brusquerie, après qu’a retenti Le Réveil-matin de Couperin. Pourtant obstinée, la répétition de son appel se montre bien plus malicieuse que tapageuse. Ce sera la voie que choisit Céline Frisch pour parcourir cette anthologie de pièces à titres : en assumer le caractère descriptif sans jamais appuyer le trait. Comme si le réalisme et les teintes pastel de Liotard croisaient la volupté souriante de Boucher sur la riche palette chromatique du clavecin.


Céline Frisch, la main toujours sûre mais légère, le geste précis mais cursif, prend un plaisir manifeste à faire sonner l’instrument pour y accueillir Les Plaisirs de la chasse de Daquin, à créer un espace propice au Carillon de Dandrieu, à faire vrombir les basses de l’orchestre tumultueux de Rameau (Pygmalion) réinventé par Balbastre. La prise de son d’Aline Blondiau restitue sans artifice « la variété fantastique », dixit l’artiste, de cette copie du fameux Goujon-Swanen (av. 1749-1784) du musée de la Musique.


C’est d’ailleurs l’original qu’avait adopté Christophe Rousset pour son enregistrement du Premier Livre de pièces pour clavecin (1746) de Pancrace Royer (Naïve, 2007). Livre dont L’Aimable prête son nom à ce programme et résume tant les sinuosités de cette musique de style rocaille que le jeu désarmant de naturel de Céline Frisch. Naturel mais qui relève du grand art comme en attestent notamment les pièces de Royer : tout est dans la suggestion, dans les non-dits, dans la demi-teinte, dans ces Tendres Sentiments miraculeux de délicatesse et d’expressivité. Ou le chant si gracieux de ce Rossignol en amour de Couperin. Après les élans du cœur et les divertissements, la journée s’achève par « Le Coucher du Roi » accompagné des Étoiles de Corrette dont le mystère et le scintillement s’auréolent d’une douce mélancolie. On quitte à regret ce parcours si finement balisé, convaincu de vite revenir en ce séjour si aimable.



 


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