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Diapason # 712 (06/2022)
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Analyste: Loïc Chahine

Ne vous y trompez pas : si le nom de Gesualdo trône sur la pochette du disque, c'est comme protagoniste plus que comme compositeur - il n'occupe que trois plages sur vingt-sept.

Alors ? Le célèbre madrigaliste à la biographie tourmentée fut aussi luthiste ; il fut même parmi les premiers, selon le musicologue Dinko Fabris, à posséder un archiluth, cette variante dotée d'une extension du manche destinée à fournir davantage de graves. Nous voici donc à l'orée du XVIIe siècle, en compagnie d'Alessandro Piccinini (1566-1638), l'un des concepteurs de l'instrument, du brillant Kapsberger, de cet extravagant Bellerofonte Castaldi (1580-1649) que nous révélait Le Poème Harmonique à ses tout débuts (Alpha, Diapason d'or ) et de quelques autres.

Comme chez Dowland (Diapason d'or de l'année 2020), le propos de Bor Zuljan est radical. « Le son peut surprendre », écrit-il, en raison de trois choix : celui des cordes en boyau (plutôt que celles en matériaux synthétiques aujourd'hui privilégiées par la plupart des luthistes), celui de jouer « avec des ongles longs à la main droite » comme l'évoque Piccinini, celui, enfin, de positionner cette main non au-dessus de la rosace mais tout près du chevalet, comme le montre largement l'iconographie. Résultat : une sonorité plus mate, plus percutante, des attaques plus fortes, des notes plus détourées - écoutez le début de la Toccata cromatica XII de Piccinini qui ouvre le disque, lancé comme un éclair.

Mais ce serait faire insulte au musicien de réduire le propos à son aspect historicisant.

De sa radicalité naît une tension qui nous tient en haleine d'un bout à l'autre.Ce qui n'empêche pas le surgissement de vrais mouvements de douceur - les accents suaves de la Toccata 6a de Kapsberger !

La liberté quasi improvisée de certaines séquences dialogue avec la régularité agile de traits impeccables -Il Ciarlino capriccio chromatico de Pietro Paolo Melli (1579-ca. 1623) atteste l'une et l'autre.

Le mot revient dans bien des titres de pièces : cromatica . Bien sûr, il décrit un élément technique : le demi-ton, l'instabilité des altérations - la Canzon francese del Principe se pare d'audaces étourdissantes. L'étymologie renvoie à la couleur (chroma). Celles, diverses, du timbre mettent ici en lumière des épisodes, des voix qui se complètent ou se répondent (voyez la Toccata cromatica XII de Piccinini, déjà citée). Et la lumière est franche chez Bor Zuljan. Plus que le doux luth qu'on écoute au soir à la chandelle, cet archiluth exhausse le grand éclat du jour découpant les contours, qu'il inonde un extérieur ou s'instille par quelque ouverture dans une pièce sombre en plein après-midi.

Ce clair-obscur tranche. Après tout, Gesualdo et ses comparses étaient contemporains du Caravage.



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