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Analyste:
Jean-Christophe Pucek Benjamin Alard aborde, avec ce nouveau volume de son intégrale, le premier grand recueil de Bach. Il serait néanmoins dommage de n'en retenir que le Clavier bien tempéré quand l'interprétation, sur un clavicorde Haas de 1763, du Clavier-Büchlein pour Friedemann (commencé en 1720) ravit par son toucher fin, précis, mis au service d'un art de miniaturiste délicat, sans fadeur. Pour aborder le Premier Livre du Clavier, joué sur un clavecin Hass de 1740 généreux mais délié, Alard fait le choix, inhabituel, de ne pas respecter la progression traditionnelle par demi-tons du recueil, mais d'agencer préludes et fugues en fonction de leur « attirance tonale », arguant d'un besoin de variété et du fait que Bach n'envisageait pas une exécution linéaire de ces pièces. La surprise passée, l'expérience valait d'être tentée. L'intelligence de l'interprète, la clarté de la conduite de ses idées mais aussi son instinct, l'approfondissement du langage de Bach qu'il opère en cheminant, étayent solidement sa démarche. L'enchaînement des Préludes et fugues X, XIX et XIV fait ainsi surgir un réseau de résonances, d'images inédites, d'autant qu'Alard prend un plaisir évident à jouer des registres, des couleurs de son instrument, mêlant en connaisseur doux et acide, piquant et moelleux. Le dégradé subtil de teintes, les nuances sans cesse mouvantes dans le XVIII en sol dièse mineur renforcent la clarté du III en ut dièse majeur qui ne rend que plus vif le XXII désolé en si bémol mineur, où suspensions et silences s'épousent en un ballet hypnotique prolongé, sotto voce, par le tintement des cloches d'une église de Provins. On pourrait souligner la puissance dramatique du XX en la mineur, d'une noblesse alla Leonhardt dans la fugue, en exergue de la seconde partie du parcours, suivi par la bourrasque en ré majeur du V qui claque comme une chemise au vent. Si la grande Fugue XXIV perd ici son caractère conclusif, l'art du contrepoint comme de la mélodie déployé par Alard, la transparence des glacis qu'il dépose dissipent les réticences. Pour peu qu'on accepte d'être désarçonné au départ, on apprend vite à aimer cette réalisation éloquente qui s'installe, avec celle de Pierre Hantaï (Mirare, 2003), parmi les visions les plus singulières du Premier Livre. |
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