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Classica # 219 (02 / 2020)
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Harmonia Mundi
HMM902632



Code-barres / Barcode : 3149020938867

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Analyste:  Gaëlle Le Dantec

JOURDAIN EN TERRE PROMISE

 Geoffroy Jourdain a fait de la Venise baroque son territoire d'élection où cohabitaient arts profanes et sacrés. Ainsi, musiques religieuse et laïque dialoguent, s’inspirent l'une de l'autre, avec passion.

 Après la bile noire de leur récital « Melancholia » paru l'an dernier  (Harmonia Mundi, CHOC, Classica nº 208), Geoffroy Jourdain et Les Cris de Paris offrent avec « Passions » une magnifique anthologie de musique vénitienne du XVIIIe siècle. Entre Passion du Christ, dramatique et incarnée, et passions humaines mêlées de transcen-dance et de spiritualité, les frontières sont aussi floues et perméables qu'intensément expressives.

« Melancholia » et « Passions » se rejoignent dans l'extraordinaire beauté des oeuvres programmées et l'excellence de l'interprétation. Les Cris de Paris atteignent à nouveau les plus hautes cimes: la texture vocale de l'ensemble, puissante et sensuelle, magnifie l'expression ultrasensible des affetti du texte, en un cheminement original réunissant madrigaux spirituels en langue italienne, motets en latin composés pour l’église et ponctuations instrumentales extraites d'opéras. De Gabrieli à Caldara en passant par Monteverdi et Lotti, les plages étirent les durezze (duretés) douces‑amères du contrepoint tardif italien, ces accumula-tions de frottements et retards qui fondent l'esthétique baroque des passions. 

Alors que « Melanchotia » s’organisait autour du matériau poétique, c'est ici la musique elle‑même qui guide cet agencement de genres sacrés, profanes, vocaux et instrumentaux qui cohabitèrent à Venise entre 1600 et 1750. 

FILIATION 

« Passions » trouve sa cohésion, sa narration propre, en reliant en une grande histoire chaque récit miniature des oeuvres qui composent l'album et, sans suivre d'ordre chronologique, met en lumière la fascinante filiation de ces compositeurs: Lotti fut le disciple de Legrenzi, lui‑même élève de Cavalli, lequel fut au service de Monteverdi. Comme pour « Melancholia », qui s'ouvrait sur une berceuse, Geoffroy Jourdain commence « Passions » par « Hor chè tempo di dormire » de Merula: nous voici à l'écoute du chant de la Vierge à Jésus, hypnotisés par le bercement régulier de cette basse obstinée réduite à un demi‑ton. Tel un raga, ce lamento funèbre et déchirant annonce la suite. Autour de cinq grands Crucifixus qui scandent l'avancée du récit, stations d'un chemin de croix imaginaire, Les Cris font miroiter tous les sortilèges dramatiques du langage musical vénitien: raffinement mélodique, mystérieux labyrinthes harmoniques, tensions contrapuntiques. Le tout est une merveille d'équilibre, entre tendresse méditative, intense ferveur et exubérance. À découvrir, passionnément.

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Prise de son du mois : Février 2020 - Classica

Dans ce programme où des motets en latin (extraits de la Selva morale e spirituale de Monteverdi) côtoient des madrigaux sacrés en italien et des pièces instrumentales (sonates et sinfonias), les effectifs et les timbres varient. Les Cris de Paris, soutenus par quelques cordes frottées et pincées, résonnent dans un espace généreux, discrètement soutenus par une réverbération naturelle d'église. Comme à son habitude, Alban Moraud nous régale d'une texture sonore savoureuse et onctueuse. Si la densité de la matière l'emporte, l'architecture, la répartition des voix et la perspective restent très lisibles. La richesse de la couleur prime sur la netteté millimétrée du trait: la peinture vénitienne ne dit rien d’autre.

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