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Analyste: Loïc Chahine
En
1695, rentrant de Paris, où il avait vu son éditeur, à Strasbourg, où il était
en poste, Sébastien de Brossard s'arrêta en chemin à Châlons‑en‑Cham-pagne, où
officiait Pierre Bouteiller. Il logea chez lui, et les deux compositeurs
échangèrent des oeuvres. C'est ainsi que Brossard, grand collectionneur, entra
en possession du recueil de motets de Bouteiller qui se clôt avec le Requiem,
aujourd'hui conservé à la Bibliothèque nationale de France. Ce Requiem et
le Stabat Mater que Brossard donna à Meaux (1702) ont en commun la
formation: cinq voix et basse continue, avec une image sonore (un « creux »
caractéristique entre la ligne de dessus et la plus aiguë des quatre voix
graves) qui fait écho à la texture singulière de l'orchestre versaillais à
l'époque. Le faste est ici essentiellement polyphonique, sans symphonie, et les
récits confiés à des solistes sont peu développés.
Les Arts Florissants concentrent le discours au maximum. Plutôt que de
noircir le tableau du Requiem comme le faisait Niquet (cf. no 587), Paul
Agnew oscille entre le recueillement et la lumière éternelle promise au défunt.
Indécision ? Sagesse, plutôt, tant l'oeuvre semble ainsi rendue à elle‑même.
Sous sa direction, les sopranos trouvent au début une couleur presque diaphane
qui évoque la douceur apaisée. Quel contraste avec l'exorde du Stabat Mater
de Brossard! Les mêmes aigus prennent ici un tout autre relief, quand le chef
semble seconder le compositeur pour peindre d'abord la Vierge tombant à genoux
(trois notes en descendant sur « stabat »), puis, sur « dolorosa
», tirer un cri du si bémol aigu, rarissime dans les parties chorales de ce
répertoire. Cette lecture scrupuleuse puise ses effets dans la partition même et
exhale une sensibilité sculpturale. Au brillant se substitue la densité.
Le programme illustre aussi la
diversité des pratiques musicales à l'église, puisque les deux grandes oeuvres
sont complétées par un Miserere pour une voix et basse continue alternant
avec le faux‑bourdon, d'une rare piété, et surtout un vibrant Ave verum a
cappella. Sans doute ce disque n'opère‑t‑il pas une séduction immédiate, mais il
réserve à l'auditeur persévérant une profondeur qui pallie les (relatives)
âpretés du son. Et si Brossard et Bouteiller étaient les héritiers de Philippe
de Champaigne ?
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