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Diapason # 675 (01 /2019)
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Analyste: Gaëtan Naulleau
 

Seize ans après les Duetti arcadiens partagés entre dix chanteurs triés sur le volet au baptême du Concert d'Astrée, voici déjà le septième rendez-vous d'Emmanuelle Haïm avec le Handel italien. Elle l'a toujours gratifié de voix splendides et finement préparées. Il a toujours flatté en retour sa générosité précise. Le nouvel album devait associer les jeunes étoiles Sabine Devieilhe et Marianne Crebassa dans le grand tableau pastoral (dix airs plus un duo) d' Aminta e Fillide puis leur confier indépendamment deux cantates tragiques. La mezzo a dû renoncer peu avant les concerts, Lea Desandre a relevé le défi dans un programme inchangé.

Gardons la soprano star pour la fin, commençons l'écoute avec sa partenaire, dont l'instinct et le charisme ont toujours fait merveille en scène. Est-ce bien elle ? Il faut dresser l'oreille pour approcher le grain vocal de ce chant bizarrement éloigné par les micros. Si Desandre possède déjà toutes les clefs d'une déclamation vivante et concentrée, dans un italien idéalement coloré, la lourde robe de Lucrezia pèse sur ses jeunes épaules et l'inhibe dès le premier air - c'est chez Janet Baker et Magdalena Kozena que nous percevrons l'enjeu de ces intervalles mélodiques et la stature, l'inaltérable dignité, les plaies fatales de la Romaine qui regagne son honneur en se perçant le sein. Pour prendre contact avec une musicienne touchante s'il en est, et fondre, écoutez plutôt les frémissements du sixième air d'Aminta e Fillide, et le théâtre de l'inquiétude du huitième.

Nettement mieux enregistrée, Sabine Devieilhe infuse tout au long d' Armida abbandonata une extraordinaire tendresse. Handel, d'ailleurs, n'exprime la colère de la magicienne que par touches, pour rehausser les effusions d'un coeur trahi mais indéfectible - le dernier numéro supplie le dieu d'amour de le libérer. Les élans implorants de « Venti, fermate », quand Armide s'empresse de calmer les vents qu'elle vient de déchaîner, sont un grand moment, auquel s'accorde la splendeur de l'orchestre. Mais fallait-il flatter à tout prix l'aigu de la soprano dans les da capo ornés, qui ajoutent plus de sucre que de sel aux larmes des deux autres airs ? Les contorsions de soubrette abbandonata ne sont pas sans charme, mais la voix en possède tant déjà. .. Le pot de paillettes pèse également sur les da capo d' Aminta e Fillide. Servent-ils le sens musical ? Ils risquent de le diluer, dans leur course anachronique vers la contre-note. Servent-ils les voix ? Ils flattent leur souplesse, oui, mais surexposent aussi la faible spontanéité de Devieilhe, qui récite une divine leçon plus qu'elle n'y manifeste son invention. Quant à Desandre, elle se raidit dans le da capo mal digéré de « Fu scherzo », et trahit dans celui de « Sento ch'il Dio bambin » l'intimité sublime qu'elle avait installée. Il n'est pas interdit de zapper avant la fin des plages, pour admirer ensuite la caractérisation, la lumière et l'esprit qu'Emmanuelle Haïm a su rendre à ce divertissement offert, en 1708, à une assemblée de cardinaux et de lettrés dans un jardin romain.
 


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