WUNDERKAMMERN
(09/2018)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Arcana
A452
Code-barres / Barcode : 3760195734520
Analyste: Jean-Christophe Pucek
En Saxe, les printemps sont parfois
éclatants. Celui de 1721 venait tout juste d’éclore lorsque, le 24 mars, Johann
Sebastian Bach mit le point final à la dédicace, en français, du recueil qui
s’apprêtait à prendre le chemin de Berlin. Que resterait-il aujourd’hui de «Son
Altesse Royalle/Monseigneur/CRETIEN LOUIS/Marggraf de Branden-bourg & c. & c. &
c. » si les musiques rassemblées à son intention par « son tres-humble & tres
obeissant Serviteur/Jean Sébastien Bach,/Maître de Chapelle de S.A.S. le/prince
regnant d’Anhalt-Coethen» ne perpétuaient le souvenir de son nom ? De froides
mentions dans quelques généalogies nobiliaires, moins que la poussière de ses
os.
Le compositeur avait rencontré le
margrave deux ans plus tôt à l’occasion de deux séjours berlinois rendus
nécessaires par la commande auprès de l’atelier de Michael Mietke, fournisseur
de la cour, d’un « grosse Clavecin oder Flügel mit 2 Clavituren » livré à Köthen
le 14 mars 1719. L’offrande musicale faite à ce prince n’était pas plus
spontanée que désintéressée ; sans doute avait-on soufflé à Bach l’idée de cet
hommage qui contribuerait à l’enrichissement de la bibliothèque margraviale dont
l’inventaire conservé témoigne de l’opulence du fonds de partitions, et le
musicien attendait en retour quelque marque de faveur et de « pouvoir être
employé en des occasions plus dignes de [votre altesse royale] et de son
service, » une formulation qui, sous les mots de convention, laisse peut-être
deviner une bien réelle envie d’émancipation. Les Six concerts avec plusieurs
instruments, pour reprendre la terminologie employée par leur auteur – ils ne
deviendront Concertos brandebourgeois que sous la plume de Philipp Spitta au
XIXe siècle –, n’ont pas été composés spécifiquement pour leur prestigieux
dédicataire ; l’existence de versions plus anciennes de certains d’entre eux
laisse supposer que Bach puisa dans sa réserve d’œuvres pour sélectionner un
bouquet représentatif de ses capacités, l’arrangeant plus ou moins profondément
avant de le constituer en recueil.
Ce dernier se présente comme un
véritable kaléidoscope aux couleurs et aux formes sans cesse renouvelées, à
l’invention perpétuellement fusante, un enivrant mélange de saveurs fraîches et
parfois légèrement désuètes brassant tous les goûts de l’Europe musicale
d’alors, y compris pour le pittoresque (Poloinesse de BWV 1046). Concerts, donc,
plutôt que concertos – le Premier, en fa majeur, est augmenté d’une suite de
danses et regarde donc vers le monde des Ouvertures (la Bach-Gesellschaft le
publia d’ailleurs avec ces dernières au XIXe siècle), le Troisième, en sol
majeur (BWV 1048), n’a pas de mouvement central – qui exploitent avec autant de
science que de gourmandise les alliages des timbres si fortement individualisés
des instruments de l’époque, qu’il s’agisse des cabrioles cynégétiques de la
paire de cors, du quatuor de bois (trois hautbois et un basson) tantôt
goguenard, tantôt mélancolique (dans l’Adagio), ou du violino piccolo renforçant
l’esprit très français du Premier Concert, de l’éclatante partie de trompette
(en fa, pour une sonorité encore plus franche) de l’italianisant Deuxième
Concert (BWV 1047) dont l’étonnant Andante laisse seuls les trois autres
solistes – flûte à bec, hautbois et violon, Bach, en homme pratique, accordant
au trompettiste rudement sollicité par ailleurs un peu de repos – et le
continuo, de la haute voltige de la partie de violon rehaussée du coloris
singulier de deux fiauti d’echo (des flageolets) parfois utilisés pour évoquer
les oiseaux dans certaines scènes d’opéra du Quatrième Concert (BWV 1049), ou
des ébouriffements du clavecin – pupitre tenu par le maître en personne –,
véritable vedette du Cinquième Concert, probablement le plus achevé de la série.
Disposés en miroir, ce qui autorise à conjecturer une organisation bipartite du
recueil, les Troisième et Sixième (BWV 1051) Concerts se concentrent sur les
cordes, le premier de façon novatrice en faisant dialoguer, distribution
inédite, trois groupes de trois instruments chacun (violons, altos,
violoncelles) mais en adoptant une structure ancienne en deux mouvements, le
second en donnant la précellence à deux altos et en convoquant deux violes de
gambe en un geste archaïsant évoquant la Sinfonia de la Cantate BWV 18 et ses
quatre parties d’alto mais en le coulant dans le moule moderne du concerto
tripartite. On s’est beaucoup interrogé – on le fait toujours – sur l’éventuelle
symbolisme à l’œuvre dans ce recueil, Bach étant en la matière un récidiviste
obstiné. S’il semble assez clair que les trois premiers Concerts entretiennent
des liens avec les activités du dédicataire, cors de la chasse, trompette
guerrière ou de la renommée, tempête d’opéra, les allusions des trois autres
sont moins limpides ; le rapport entre l’ancien et le nouveau structurant BWV
1048 et BWV 1051 semble néanmoins suggérer que le temps joue un rôle essentiel
dans cette mécanique ciselée dont l’un est la charnière et l’autre le fermoir.
Cette éblouissante démonstration d’intelligence musicale devait cependant rester
lettre morte. Lorsque l’on redécouvrit les partitions au XIXe siècle, on
constata qu’elles ne portaient pas le moindre signe laissant supposer qu’elles
avaient un jour été exécutées.
Lorsque j’avais chroniqué, il y a
tout juste deux ans, le remarquable enregistrement de trois des quatre
Ouvertures de Bach par Zefiro, j’espérais que cet ensemble nous offrirait au
moins la BWV 1067 manquante. J’étais loin d’imaginer que non seulement ce serait
le cas, brillamment qui plus est, car la version à la fois chaleureuse et
subtilement mélancolique, si mineur oblige, proposée ici me ravit, mais que nous
aurions en plus droit à une lecture des Brandebourgeois si accomplie qu’elle
tient tête y compris à celle, quasi légendaire, de Musica Antiqua Köln (Archiv,
1987). Si les musiciens réunis autour d’Alfredo Bernardini, moins emportés que
leurs glorieux aînés, ne leur cèdent rien en termes de cohésion et de maîtrise,
ils leur dament assez aisément le pion en matière de souplesse et de sensualité.
Les solistes sont tous absolument excellents, virtuoses certes, mais également
extrêmement attentifs à demeurer dans une démarche d’ensemble organique où tous
dansent, avec une légèreté qui fait paraître assez surfaits les claquements de
talons qu’on entend parfois ailleurs, et respirent vraiment au même rythme. Le
choix des tempos fait judicieusement l’impasse sur ceux trop précipités
régulièrement employés, sans jamais rien concéder en termes de sveltesse, de
vivacité et de rebond, mais en permettant aux voix de s’épanouir sans
s’essouffler (le premier mouvement de BWV 1051 en offre un excellent exemple).
Les carrures rythmiques et les articulations sont nettes, le discours d’un
naturel assez emballant, mais c’est la diversité et l’éclat des couleurs qui
saisissent et enthousiasment le plus immédiatement ; du tonitruant au chuchoté,
du râpeux au moelleux, du coruscant au diaphane, toute la palette est là,
artistement travaillée, subtilement utilisée, et mise en valeur, tout comme la
polyphonie, par une prise de son de grande classe signée par Michael Seberich
permettant de tout entendre avec clarté. Vous me répliquerez peut-être que vous
avez déjà trois ou quatre versions des Brandebourgeois dans votre discothèque et
que vous ne voyez pas l’utilité d’en ajouter encore une. Je me suis fait la même
remarque, mais la musicalité raffinée, l’intelligence pétillante, l’absence
d’afféterie et la radieuse convivialité de Zefiro ont tôt fait de me faire
changer d’avis, me laissant pour tout regret qu’on ne conserve pas plus de pages
orchestrales de Bach pour que ces musiciens nous y enchantent encore.
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