WUNDERKAMMERN
(04/2018)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Passacaille
PAS1025
Code-barres / Barcode : 5425004170354
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Le pourcentage de chance pour que je
chronique un disque intitulé L’Estro Vivaldiano était en théorie tangentiel à
zéro, car après l’avoir régulièrement écoutée et m’être assez largement
documenté sur le contexte de son émergence et sur sa diffusion, la production de
Vivaldi, devenu l’emblème du baroque-c’est-la-fête-sans-se-prendre-la-tête se
balançant généralement de dandinement en pâmoison et le prétexte à une myriade
de réalisations aussi commerciales que creuses, me tombe littéralement des
oreilles en me faisant sombrer dans le même indicible ennui que Glenn Gould
exécutant Bach, ce qui n’est pas peu dire. Il m’aura fallu repérer, au verso de
la pochette, le nom de certains musiciens dont je suis l’évolution avec intérêt,
la violoniste Marie Rouquié pour n’en citer qu’un, ainsi que ceux de
compositeurs qui m’étaient jusqu’alors totalement inconnus pour me laisser
tenter.
Un des intérêts majeurs de ce
programme est, l’air de rien, de démontrer une nouvelle fois l’inanité de la
notion de génie, vous savez, cette chose nébuleuse qui tomberait du Ciel et
hausserait inexplicablement un créateur très au-dessus de ses contemporains ;
pas plus que Bach ou Mozart, Vivaldi ne devrait être affublé de ce titre
incertain, puisque l’on peut sans difficulté retracer les chemins qui mènent à
lui et lui trouver des pairs dont le style peine à se distinguer du sien,
rendant malaisées les attributions de partitions d’esthétique proche demeurées
anonymes ; ceci n’enlève naturellement rien à l’impact, en certains points
décisif, de son œuvre à l’échelle européenne, et il est, par exemple, absolument
évident que l’histoire du concerto de soliste en a été irrémédiablement changée.
Si le Prêtre roux a eu bien des
émules et probablement encore plus d’imitateurs, cette anthologie a le grand
mérite de montrer qu’il a également eu des modèles aujourd’hui quelquefois
largement engloutis par l’obscurité. Ainsi, connaissez-vous Giorgio Gentili ? Ce
Vénitien qui fit toute sa carrière dans l’orbite de Saint-Marc mais aussi,
durant une quinzaine d’années (c.1702-c.1717), à l’Ospedale dei Mendicanti, deux
lieux où Vivaldi père donnait également de l’archet, est l’une de ces modestes
figures qui contribuèrent, en haussant nettement l’exigence de virtuosité
violinistique, à ouvrir la voie à ces pyrotechnies si caractéristiques du style
vivaldien où l’instrument est traité comme une voix et vice-versa ; ses six
opus, publiés entre 1701 et 1716, ne révèlent peut-être pas un tempérament
puissamment original, mais ils offrent un matériau suffisamment stimulant (les
deux concertos de l’Opus 6 en particulier) pour avoir aiguillonné l’inventivité
du jeune Vivaldi qui lui emprunte traits et éléments de conduite du discours.
Rien ne choit décidément du firmament.
Les noms de Marc’Antonio Ziani, de
Giuseppe Torelli et bien entendu, même si c’est à cause d’un Adagio qu’il n’a
pas écrit, de Tomaso Albinoni sonneront de façon plus ou moins immédiatement
familière aux oreilles des amateurs de notes lagunaires. Du premier, qui
délaissa Venise pour trouver meilleure fortune à Vienne où il mourut
Hofkapellmeister en 1715, est proposée une solennelle et sombre Sinfonia del
Sepolcro dont la mise en miroir avec la concise Sonata al Santo Sepolcro RV 169
de Vivaldi dans un si mineur comme frappé de stupeur, bourrelé de dissonances,
souligne le rôle de source d’inspiration. Le second est un peu le mouton noir de
cette sélection, puisque né à Vérone et actif à Bologne mais également en terres
d’Empire où il importa le concerto de soliste et grosso dont il avait contribué
à façonner le nouveau langage ; la paternité du Concerto en sol mineur publié en
1710 dans une anthologie par Estienne Roger est disputée entre lui et Vivaldi,
mais si ce dernier n’en est pas l’auteur, la ressemblance est souvent à s’y
méprendre. Le troisième nous reconduit vers la lagune ; Albinoni, qui demeura
toute sa vie un dilettante (par opposition aux musiciens professionnels), n’en
joua cependant pas moins un rôle-clé dans l’affirmation de la structure
tripartite du concerto (vif-lent-vif) ; maître de l’équilibre – à l’excès,
diront ceux qui le déprisent – comme put l’être Corelli, très soucieux de
vocalité, la fluidité subtilement ambiguë de sa Sinfonia a quattro en la majeur
fait tout le prix de cette brève page.
Parmi l’impressionnante cohorte de
ceux qui puisèrent plus ou abondamment leur inspiration chez le Prêtre roux, ont
été distingués deux noms dont on ne peut pas dire qu’ils encombrent beaucoup la
mémoire collective, même si Johann Friedrich Schreyfogel, dont le nom trahit les
origines tudesques, a déjà eu les honneurs de l’enregistrement dans un très
honorable disque de l’Orkiestra Historyczna (Dux, 2015) proposant trois de ses
œuvres dont le fort bien troussé Concerto pour violon en ré mineur au charme
mélodique évident et déjà galant qui n’est pas sans évoquer celui de Giuseppe
Antonio Brescianello (c.1690-1758), un Bolonais passé par Venise vers sa
vingtième année ayant fait toute sa carrière à Stuttgart. De l’énigmatique Padre
Bicajo, on ne sait rien, mais son Concerto pour violon et orgue en sol mineur
atteste d’une profonde imbibition du style vivaldien dont il manie maintes
tournures avec aisance pour un résultat dont l’austère panache ne manque pas
d’attraits (et me fait par moments irrésistiblement songer au Concerto pour
orgue, cordes et timbales de Poulenc dans la même tonalité).
Les jeunes
musiciens qui composent la Mensa Sonora renouvelée (l’ensemble a été
initialement formé en 1989 par Jean Maillet qui en a confié, en 2015, la
direction artistique au violoniste Gabriel Grosbard et au claviériste Matthieu
Boutineau) ne manquent pas non plus de brio et leur première réalisation a, sur
de nombreux points, de quoi satisfaire le mélomane exigeant. Le choix des œuvres
est tout d’abord particulièrement judicieux, car s’il affiche Vivaldi pour
attirer le chaland – c’est de bonne guerre et, sur les deux pièces proposées, le
Concerto ripieno RV 160 l’est dans une mouture inédite, avis aux amateurs –, le
programme est majoritairement composé de raretés toujours intéressantes malgré
quelques mouvements plus ordinaires, dont les interprètes savent tirer le
meilleur parti en usant intelligemment d’une belle palette de nuances et de
dynamiques pour soutenir l’intérêt. Il faut ensuite saluer le choix d’avoir
enregistré en tribune avec un « vrai » orgue, touché de surcroît avec
inventivité et autorité par Matthieu Boutineau tant en soliste qu’au continuo,
une décision qui, au prix de quelques très minimes flottements de la prise de
son, apporte assise, couleurs et ampleur à cette réalisation dont on sent
qu’elle est le fruit d’un élan et d’une envie communs, loin de ces approches
routinières où règnent soit l’ennui, soit l’abus d’épices pour en masquer la
fadeur. Les musiciens ont, au contraire, su trouver ici un excellent équilibre
entre enthousiasme et retenue, spontanéité et réflexion, et quand bien même ces
partitions écrites en grande partie par des virtuoses du violon mettent en
valeur leur primus inter pares – Gabriel Grosbard assume ce rôle avec aisance,
capable d’attaques aiguisées comme de lignes caressantes –, l’écoute mutuelle
entre les différentes parties est telle qu’elle ne laisse jamais s’instaurer de
déséquilibre en faveur de l’une d’elles. Vive mais pas hirsute, sensuelle sans
être ni épaisse ni doucereuse, attentive à rendre perceptible la dimension
vocale qui souvent imprègne le répertoire vénitien du XVIIIe siècle, cette
anthologie inaugurale de Mensa Sonora est un disque maîtrisé et épanoui qui
s’écoute avec bonheur et profit, laissant augurer d’un bel avenir pour un
ensemble qui a visiblement su trouver un nouveau souffle.
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