Texte paru dans: / Appeared in: Flora |
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Analyste: Jean-Christophe Pucek Lorsque François Couperin publia ses Concerts Royaux en 1722, Louis XIV s’était définitivement éclipsé du théâtre du monde depuis sept années et l’épicentre artistique du royaume était non plus Versailles mais Paris ; le recueil de celui qui avait si souvent joué à la cour, non seulement par sa référence explicite au monarque défunt mais également par l’organisation de la musique en quatre suites de danses introduites par un Prélude, semblait condamné d’emblée à porter le sceau du passé. Le tour de force du compositeur a consisté à ne pas rendre ce poids de nostalgie écrasant en agrémentant ses pièces de suffisamment de tournures modernes – lire « italiennes » – pour les ancrer dans l’esthétique de la Régence et satisfaire le goût du jour tout en ne perdant pas de vue l’ambition de réunir le français et l’ultramontain sous une même bannière. Dans un soin méticuleux accordé à l’organisation de son œuvre, Couperin a établi une subtile gradation entre les quatre Concerts : fermement ancré dans la tonalité de sol – une discrète révérence à l’astre tutélaire du roi ?–, le Premier est le plus simple dans ses idées et sa facture, comme s’il s’agissait de prime abord de séduire par une élégance sans façon, par un sourire sans ombre, puis la complexité s’accroît graduellement pour culminer dans le Quatrième, le seul en mineur, où les goûts réunis s’affichent ouvertement (Courante françoise/Courante à l’italiène) et où l’inventivité se débride, ainsi que le démontre le recours à des danses auxquelles le musicien reviendra ensuite peu (Rigaudon) ou pas (Forlane, ici remarquablement protéiforme). Il faut également prendre le temps de s’arrêter, dans le Second en ré, sur l’Air tendre en mineur à la mélancolie diffuse mais persistante ainsi que sur les savantes alternances d’humeur de l’Air contrefugué, tout comme celui de savourer l’ampleur du Troisième en la, qu’il s’agisse des nobles élaborations de la Sarabande, un des sommets du recueil, à laquelle ses dissonances confèrent un charme prenant, de la simplicité raffinée de la Muzette ou des arabesques de la Chaconne légère.
Pour son troisième
disque, l’ensemble Les Timbres a haussé l’effectif de son trio d’origine – Yoko
Kawakubo au violon, Myriam Rignol à la viole de gambe et Julien Wolfs au
clavecin – jusqu’à dix afin d’obtenir une palette de couleurs aussi riche que
possible, suivant en ceci les possibilités laissées ouvertes par Couperin dans
la préface des Concerts Royaux : « [Ces pièces] conviennent non seulement au
Clavecin, mais aussy au Violon, a la Flute, au Hautbois, a la Viole et au
Basson. » Le résultat est indiscutablement réussi et la lecture de cette bande
de musiciens à la fois joyeuse et experte possède tous les atours que l’on
s’attend à voir scintiller dans ce répertoire, de l’allant et de la tendresse,
de la souplesse et de la maîtrise, de la spontanéité et du raffinement, un rien
d’ineffable mélancolie tempérée par la grâce d’un sourire. Les interprètes ont
eu l’excellente idée de placer leur approche sous le signe de la variété des
configurations instrumentales, obtenant ainsi un nuancier extrêmement séduisant
et parfois kaléidoscopique, mais également de ne pas précipiter le pas afin de
laisser s’épanouir tous les parfums de cette musique, y compris les plus ténus,
et de permettre à l’auditeur d’avoir le temps de les goûter. Il faut également
saluer leur véritable travail en commun, sans lutte d’egos sous-jacente, qui a
l’insigne mérite de concentrer l’attention sur les œuvres et sur elles seules.
Subtile et sensible, dégageant une impression de convivialité généreuse, cette
interprétation aux timbres gourmands et sensuels des Concerts Royaux a su
trouver un magnifique équilibre entre intimisme et ampleur (saluons la qualité
de la captation d’Aline Blondiau) qui la place parmi les toutes meilleures de la
discographie aux côtés de celle du Parlement de Musique enregistrée il y a vingt
ans et qui a parfaitement vieilli. | |
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