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Diapason # 668 (05/2018)
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Brilliant Classics
95555BR  
Evidence
EVCD047  
Code-barres / Barcode : 5028421955551 Code-barres / Barcode : 5051083124362
 

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Analyste: Philippe Ramin

 

L'intégrale d'Elisabetta Guglielmin parue l'an dernier (cf. no 662) confirmait l'étrange règle : malgré toute leur richesse, les deux Livres pour clavecin d'Elisabeth Jacquet de La Guerre ont vu s'étoffer, depuis quarante ans, une discographie essentiellement féminine, que prolongent aujourd'hui encore deux albums. Celui de Francesca Lanfranco nous laisse aussi froid que celui de Guglielmin. L'originalité d'écriture et de caractère qui donne à Jacquet de La Guerre toute sa place dans le paysage du clavecin au Grand Siècle s'évapore dans une lecture au premier degré, indifférente à la variété des textures et contours mélodiques. L’inégalité des croches (plus ou moins « pointées ») n'est ici qu'un système, alors qu'elle pourrait devenir un outil expressif. Rescapées de ce passage à la moulinette du rythme, chaconnes et sarabandes arborent une certaine fierté. Il faudra s'armer de patience dans cette forêt de menuets mécaniques, de gigues amidonnées et de préludes non mesurés à la déclamation curieuse. 

Quelle métamorphose quand Mariei Van Rhijn s'empare des trois Suites du premier Livre (1687), encadrées, par la voluptueuse Flamande extraite du second Livre et, dernière plage, par son doublé. Musicienne accomplie, continuiste fidèle des Arts Florissants, elle apparaît ici sous un meilleur jour que dans son premier album en solo (un ensemble de transcriptions d'après Marais paru en 2016), Sur le même instrument (un anonyme français de la fin du XVIle siècle). L’adéquation entre le génie illuminé de la compositrice, les saveurs épicées du Diem de 1679 et le tempérament de l'artiste est sensationnelle. Marie Van Rhijn montre l'ambition singulière d'une écriture pour clavecin à la fois idiomatique et souvent orchestrale (en ceci, le premier Livre fait écho, dans un style plus fluide, à celui que D’Anglebert publie deux ans après). 

Les contrastes presque dérangeants entre thème et couplets des chaconnes (L’inconstante) sont exposés sans fard, et animés par une urgence assez réjouissante. L'aplomb de l'interprète est aussi efficace dans la Sarabande en la que dans les astucieux Canaries (sur le seul quatre pieds). Dans le discours, parfaitement organisé, se coule une expressivité intense. Les guirlandes ornementales de la Chaconne en la, la raucité presque sauvage du menuet de la même Suite, la virtuosité furieuse de la Tocade placée au début de celle en fa majeur servent au plus près les éclairs de génie de la compositrice. Détails qui ont leur importance, le tempérament judicieusement construit renforce ces ambiguïtés tonales (fausses relations, alternances troubles du majeur et du mineur) et la richesse de timbre de I'instrument est bien mieux captée que dans l'album Marais.

Ce geste qui sait doser à chaque instant audace et élégance permet à Marie Van Rhijn de conquérir une belle place dans la discographie, auprès de l'ombrageuse Blandine Verlet (Naïve) et de la vive Carole Cerasi (Métronome). Et maintenant, messieurs, ne soyez plus timides. Elisabeth vous attend, elle ne mord pas.  


 

   

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