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Diapason # 618 (11/2013)
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Éditions Les Arts Florissants
 AF001



Code-barres / Barcode : 3760138170972 (ID368)

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Appréciation d'ensemble:
Analyste:  Gaëtan Naulleau

 

Classieusement empaqueté, le premier opus des Arts Florissants sous leur propre label a peu d’atouts à faire valoir dans la discographie, certes clairsemée, d’un oratorio sur la chute de Babylone, la déchéance de son roi impie et l’affliction de la mère de celui-ci - Nitocris, l’un des plus beaux personnages handéliens. On comprend que WilliamChristie ait à coeur de faire connaître cette partition jumelle d’Hercules (recits de la folie l’un et l’autre, été1744), mais il lui faudrait pour cela un Belshazzar plus arrogant et plus intimement tourmenté que le vaillant Allan Clayton (surexposé, le jeune ténor clame tout à pleine voix et oublie de nuancer), et un prince de Perse moins grisâtre (timbre autant que personnage) que Caitlin Hulcup – difficile de passer après Bejun Mehta, héros de la production de Christophe Nel et René Jacobs filmée en Aix (DVD HM, cf n°593).

Il lui faudrait surtout un ensemble vocal capable de magnifier les choeurs « cinématographiques » aménagés par Jennens dans son livret et sculptés par Handel - Railleries des Babyloniens juchés sur la muraille, appel des Juifs à la colère divine, festin bacchique, anthem conclusif. Les voix des Arts Florissants apportent du caractère à une partition exigeante mais semblent souvent aux limites de leurs moyens. L’intonation vacille plus d’une fois (quelques mesures a cappella suffisent à les déstabiliser dans « Behold by Persias’s hero made »), les fugues n’ont pas les contours et la fermeté que des pupitres impeccablement soudés (à commencer par les altos) pourraient assurer, les vocalises, quand elles ne sont pas picorées piano, cultivent l’art du flou. Nous avons d’abord cru qu’il s’agissait des aléas d’une prise de concert, avant d apprendre par la notice que l’enregistrement était réalisé en studio. Ce qui nous laisse encore plus surpris par le peu de soin apporté par Christie au premier choeur des Babyloniens (mal dégrossi, sans l’ironie attendue), à « Sing, O ye Heav’ns », d’une pompe uniforme, et au magistral «By slow degrees the wrath of God». La partition brossée à fresque par Handel, articulée avec un sens du timing qui n’appartient qu’à lui, s’accommode mal d’un geste si vague. Le massif choral qui ouvre l’acte Il est nettement mieux tenu, mais sans les reliefs multiples et les raffinements de couleur qu’une écriture si intense appelle à nos yeux.

L’orchestre, somptueux dans l’Ouverture (noire, élancée, urgente), se contente ensuite d’une respiration large et d’une belle pâte moelleuse où les différentes idées se distinguent plus ou moins. On se réveille à l’arrivée de Iestyn Davies; le jeune contre-ténor phrase impeccablement la partie du prophète Daniel et soutient une émotion noble dans le « Lament not thus » destiné à apaiser Nitocris. On sait depuis le spectacle d’Aix que Rosemary Joshua n’a pas naturellement l’étoffe tragique du rôle mais qu’elle le compose avec tant d’intelligence et d’engagement qu’on oublie son timbre léger, captivé par la densité de ses mots. Le personnage est là, puissant, rongé par l’angoisse. Reste que Jacobs conduisait beaucoup plus habilement ses grands accompagnatos, et pour commencer le sublime « Vain, fluctuating state of human empire », longue méditation sur la corruption et la fragilité du pouvoir. Les duos de la mère et du fils gagnaient aussi beaucoup plus de relief chez Jacobs - le bras de fer de « O dearer than my life » tourne ici à la promenade de santé.

On rêve qu’un Gardiner et son choeur se mesurent enfin à une partition majeure qu ils n’ont jamais abordée. En attendant, le Belshazzar idéal est un patchwork : avec Rolfe Johnson (chez le placide Pinnock, Archiv), Felicity Palmer (magistrale Nitocris pour Harnoncourt, Warner), Franz Josef Selig (Gobrias pour Neumann, MDG), Bejun Mehta et le RIAS Kammerchor (Jacobs, HM). Le nouvel album nous intrigue. Comment se peut-il que William Christie ait désiré cet enregistrement au point de claquer la porte de son ancien éditeur, et qu’en fin de compte il se contente de survoler un chef-d’oeuvre?

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