Analyste:
Gaëtan Naulleau
Un hôtel particulier du Marais; une douzaine de musiciens,
par ailleurs valets ou « fille auprès de son altesse », employés par une
princesse en disgrâce depuis que son père a comploté contre Richelieu ; ses
tentatives de mariages sans suite — une branche de la maison de Guise risque
de s’éteindre ; un compositeur de génie au service de mademoiselle, qui
trouve dans sa manière singulière, à mille lieues des modes de la cour, un
utile miroir de sa propre indépendance ; enfin les puissants Jésuites, autre
contre-pouvoir du grand siècle, qui s’assurent également la collaboration de
Marc-Antoine Charpentier : il y aurait là matière à une formidable série
télévisée à l’heure où Downton Abbey, fleuron de la BBC, réunit chaque
semaine plus de dix millions de spectateurs devant les chassés-croisés de la
haute société des années folles et de ses domestiques. Du château de
Highclere à l’hôtel de Soubise, le chemin pourrait être simple. Suggérons à
la production d’embaucher le jeune collectif de Sébastien Daucé, qui
insuffle à la musique de Charpentier autant d’élégance qu’hier la première
équipe des Arts Flo. Christie et les siens avaient curieusement laissé de
côté le splendide Miserere H 193, qui pourtant tombait
exactement dans leurs cordes. Peut-être parce qu’à l’époque, on connaissait
surtout la révision étoffée par Charpentier à l’intention des Jésuites,
enregistrée par le pionnier Martini (1956 !) puis Corboz (Erato). Daucé nous
fait vite comprendre l’intérêt de l’original : le sentiment d’une musique de
chambre sacrée à la fois intime et opulente, qui n’est plus un petit motet,
pas encore un grand, et dont le contrepoint richement ouvragé pour six
chanteurs (sertis par deux flûtes et deux violons) devait sonner avec une
profondeur spectaculaire dans la petite chapelle aménagée dans l’hôtel de
Soubise. Les voix fraîches de Correspondances savent qu’il serait inutile de
forcer le trait. On s’écoute, on s’entend; on peaufine des unissons
fusionnels, on rebondit le plus naturellement du monde sur les changements
de mesure, on galbe des ornements pudiques mais éloquents. Une excellente
prise de son, pas trop réverbérée, prolonge ce privilège d’entendre chaque
musicien « à portée de main », comme hier la bienheureuse mademoiselle. Les
Litanies H 83 situent assez bien la manière de Daucé: extérieur aux
attendrissements de Christie (HM) autant qu’aux pâmoisons sublimes osées par
Savall (l’un de nos disques de chevet, Astrée). Le texte si insistant des
litanies et son foisonnement d’images merveilleuses à l’honneur de la Vierge
Marie ne lui inspirent pas plus de vertiges spirituels que le psaume
accablant du Miserere. Il n’imagine pas, mais il scrute la partition
avec une telle intelligence du détail et du tout, une telle exigence du
travail d’équipe, une telle cohésion des timbres, que nous sommes tenus en
haleine. L’Annunciate superi est un délice. On est conquis par ces
jeunes gens qui lisent la musique de Charpentier avec pas moins de sérieux,
de patience, de confiance, d’envie, que s’il s’agissait d’un chef-d’oeuvre
de Bach.
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