Analyste: Philippe Venturini
BARTOLI, MISSIONNAIRE
BAROQUE
Cecilia Bartoli poursuit son entreprise de
réhabilitation d’Agostino Steffani et présente en première mondiale quelques
pages de sa musique sacrée.
Le Stabat Mater, composé par Steffani à la fin de sa vie n’a rien d’une
découverte. Gustav Leonhardt l’avait déjà enregistré en 1994 (DHM) ainsi que
Harry Christophers en 2009 (Coro). Comme Pergolesi, Steffani concentre les
vingt strophes du Stabat Mater en douze sections mais il les distribue à six
voix, un choeur et un ensemble de cordes également à six parties en un
contrepoint serré où l’écriture savante pour l’église se noue aux
chromatismes baroques. Dès la première phrase drapée dans le voile des
violes, Cecilia Bartoli et Diego Fasolis installent un climat douloureux et
introverti que prolongent le choeur et ses figuralismes dans le « Cujus
animam ». Dans cette partition riche en duos, les voix de Cecilia
Bartoli et Franco Fagioli se fondent en une surprenante alchimie de la
déploration. Mais il serait injuste de ne mentionner que les deux chanteurs
vedettes: le choeur souvent sollicité reste d’une grande lisibilité même
dans les épisodes tourmentés. Diego Fasolis n’hésite pas à transformer
l’autel en scène, à faire passer la prière par des sentiments contrastés et
violents conformément à l’esthétique baroque qui ne distinguait pas l’église
du théâtre. Il parvient à entretenir un climat d’intimité et de spiritualité
comme le rappellent le choeur « Fac me vere tecum flere » ou la
magistrale conclusion chorale qui semble se dresser tel un clocher. Si cette
version prend la tête de la discographie, elle ne doit pas laisser dans
l’ombre des motets enregistrés en première mondiale avec la même intensité
contenue et une virtuosité démonstrative. Cecilia Bartoli a une fois de plus
réussi sa Mission.
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