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Alia Vox 
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De la fondation du royaume de Grenade avec l’expansion et la splendeur d’Al-Andalus, jusqu’à son incorporation au royaume de Castille et León,  suivie de la conversion forcée des mauresques.

 

La Fondation du royaume de Grenade par Zawi ibn Ziri en 1013 sur l’ancien emplacement de Garnata al-Yahud, la Grenade des juifs, est le point d’inspiration de ce projet : une évocation historique et musicale de 5 siècles de vie d’une des villes les plus importantes et les plus admirées de l’Andalousie musulmane. Commande spéciale du Festival de Música y Danza de Grenade, ce programme a été imaginé et créé pour célébrer le millénaire de la Fondation du royaume de Grenade. Les musiques qui composent le présent CD ont été en grande partie interprétées et enregistrées en live durant le concert donné le 1er juillet 2013 au Palais de Charles Quint de l’Alhambra.

Pour mesurer la grande richesse d’influences, de traditions et d’échanges présents au moment de la fondation du royaume de Grenade, il faut remonter au début du Ve siècle. La présence de communautés juives en Andalousie et leurs relations avec les chrétiens commencent à préoccuper la hiérarchie ecclésiastique dès le Concile d’Elvira (Grenade), célébré dans les premières années du IVe siècle et un siècle plus tard, Severus de Menorca relate avec inquiétude, dans une lettre encyclique de l’an 417, les bonnes relations existantes entre juifs et chrétiens. Quelques années auparavant, en 409, l’arrivée dans la péninsule Ibérique des Vandales, Suèves et Alains en finit avec quatre siècles de romanisation, pendant lesquels s’établit dans la péninsule la liturgie wisigoth-mozarabe, dont l’influence disparaîtra définitivement en l’an 812 lorsque l’empereur de Byzance reconnaît Charlemagne comme légitime empereur d’Occident.

Les influences byzantines sur la musique wisigoth-mozarabe s’expliquent également par les relations étroites entre la péninsule et Constantinople, particulièrement intenses à partir des voyages de saint Léandre et d’autres Pères de l’Eglise. La musique du rite wisigoth ou mozarabe connut sa splendeur maximale entre le Concile de Tolède de 633 (présidé par saint Isidore de Séville) et la fin de la domination wisigothe avec l’irruption des musulmans en l’an 711, mais continuera à être pratiquée dans toute l’Andalousie jusqu’au XIe siècle.

A partir de l’arrivée des musulmans, on appelle musique mozarabe toute la musique liturgique chrétienne pratiquée dans les territoires sous leur domination. Quoique de nombreuses mélodies liturgiques bien antérieures à l’invasion se soient maintenues, la grande influence culturelle de la musique arabe, qui intervient entre les VIIIe et XIe siècles, est la responsable de la décadence de la musique mozarabe. Mais la véritable problématique de toutes ces musiques, comme d’ailleurs de la majeure partie de la musique des premiers temps du Moyen Âge, réside dans sa graphie qui est constituée par des neumas (signes) encore aujourd’hui difficiles à déchiffrer et qui, dans le meilleur des cas, nous permettent seulement d’imaginer la hauteur approximative des sons mais difficilement leur durée exacte. La musique profane de tradition wisigothe, en revanche, se marie aisément avec les nouvelles musiques arabes incorporées à partir de 711, ce qui donnera lieu à une extraordinaire culture musicale.

Quand les musulmans arrivèrent en Andalousie, ils avaient encore d’importantes préventions contre la musique. Le métier de musicien était considéré comme immoral et même malhonnête : une preuve de la piètre considération dans laquelle étaient tenus les musiciens, les chanteurs et les pleureuses est le fait que leur témoignage n’était jamais accepté lors des jugements. Avec l’arrivée d’Abd al-Rahman Ier le Juste, premier émir de la dynastie Omeyyade dans Al-Andalus, la musique commence à être mieux considérée et à occuper une place beaucoup plus importante jusqu’à devenir – avec l’arrivée du grand musicien Abu-i-Hassan Ali ibn Nafi, connu sous le nom de Ziryab – l’une des formes les plus appréciées de l’art andalou, tout particulièrement par les classes dirigeantes. Au fur et à mesure que s’adoucissaient les traditions mahométanes, la pratique musicale se développait avec une croissante intensité dans toutes les couches sociales.

Presque trois siècles avant de construire l’Alhambra, Grenade était déjà un royaume prospère et fascinant dirigé par des vizirs juifs qui mirent leurs compétences au service du roi Badis ibn Habus al-Mudhaffar (1038-1073), monarque de la dynastie Ziride d’origine berbère nord-africaine. Malheureusement, cette époque de développement et de vivre ensemble fut brisée par la terrible persécution et la tuerie des juifs grenadins de décembre 1066 décrit dans les « Mémoires » du dernier roi de la Dynastie Ziride Abd Alláh ibn Buluggin bin Badis (1073-1090). Peu après l’installation sur le trône, son royaume s’appauvrit quand il dût payer de forts tributs (las parias dues aux rois de Castille) à Alfonso VI pour être protégé de son éternel rival, le royaume taïfa de Séville. C’est dès le XIe siècle que la grande dissension interne dans Al-Andalus (fitna) avait rompu l’unité du califat de Cordoue, créant une mosaïque de petits états, royaumes appelés taïfas.

Comme les autres royaumes de taïfas d’Al-Andalus, le royaume de Grenade s’est caractérisé par sa faiblesse, ses constantes divisions et ses luttes intestines. À la fin du XIe siècle, profitant de cette conjoncture favorable, les Almoravides d’Afrique du Nord débarquèrent dans la péninsule, sous la direction de Youssef ibn Tachfine, chef régnant qui gouvernait à l’époque un empire s’étendant de l’Algérie jusqu’au Sénégal. Avec l’appui de certaines sympathies locales qui ne voyaient pas d’un bon œil la désorganisation gouvernementale des Zirides et celui d’influents personnages comme le cadi Abu Yafar, Tachfine entra dans Grenade en 1090, détrôna le dernier roi ziride Abd Alláh et intégra les territoires de l’Andalousie orientale à son empire, se confrontant à d’autres taïfas et même aux rois chrétiens du nord de la péninsule.

Après les Almoravides, ce sont les Almohades (hommes de la montagne) qui tentent d’occuper l’espace politique vacant et, partant d’Afrique du Nord, s’installent sur les territoires musulmans de la péninsule, réduisant une à une toutes les taïfas. Ils font plus précisément la conquête de la ville de Grenade en l’an 1157.

Malgré la prétendue stabilité des Almohades, il y eut diverses tentatives de la part de taïfas pour reconquérir leur indépendance, inspirées par des intérêts locaux et de puissantes familles privées de leurs anciens privilèges. À Grenade, le plus connu de ces épisodes fut celui qu’initia en 1162 Muhammad ibn Sa’d qui s’opposa aux Almohades lors de la sanglante bataille de la colline de la Sabika avec la collaboration d’éléments almoravides.

Quoique les Almohades aient réussi à imposer une certaine stabilité et même à freiner l’impulsion conquérante des royaumes chrétiens, la victoire des troupes chrétiennes à la bataille de Las Navas de Tolosa en 1212 ouvrit une brèche en direction de l’Andalousie occidentale qui annonçait la fin du rêve d’Al-Andalus.

Le royaume Nasride de Grenade, connu comme le sultanat de Grenade, fut fondé en 1238 par le noble nasride Mohammed-Ben-Nazar. Malgré les nombreuses pressions extérieures, le royaume survécut grâce à sa situation géographique favorable, tant pour la défense du territoire que pour le maintien du commerce qui, grâce à une économie diversifiée, opérait avec les royaumes chrétiens péninsulaires aussi bien qu’avec les musulmans du Maghreb ou les Génois à travers la Méditerranée. Pourtant peu à peu, ce royaume perdit des territoires face à la Couronne de Castille jusqu’à sa disparition définitive après la guerre de Grenade (1482-1492). Le royaume nasride de Grenade devait être le dernier état musulman de la péninsule Ibérique et de l’ancien Al-Andalus.

Les musiques que nous avons choisies pour ce voyage fascinant à travers l’histoire de la dernière capitale d’Al-Andalus durant l’une des périodes les plus extraordinaires de ce que l’on a appelé « l’Espagne des trois cultures » sont d’origines et de transmissions très diverses.

Pour les musiques juives, il s’agit des anciennes musiques et improvisations sur d’anciens écrits des poètes Dunash Ben Labrat et Yehuda Halevi (1075-1141), les textes récités du savant Maïmonide, médecin, rabbin, et théologien juif andalou et les musiques du Cantique des Cantiques. Elles sont interprétées conformément à la connaissance des anciennes traditions orales d’une antique communauté séfarade du Sud du Maroc que possède magistralement notre chantre Lior Elmaleh. Sans omettre la très belle prière anonyme séfarade (de la tradition de Salonique) qui se chantait durant le rituel festif du Seder de Pessah, célébré lors de la première nuit de Pâque : un chant expressif El pan de la aflicción (Ania a Lahma) merveilleusement interprété en ladino par les solistes de la Capella Reial de Catalunya, en dialogue avec les improvisations du chanteur Lior Elmaleh.

Pour les musiques chrétiennes, nous avons choisi des œuvres provenant des répertoires mozarabes, codex et manuscrits hispaniques médiévaux, en particulier des œuvres du Códice de las Huelgas ou des Cantigas de Santa María d’Alphonse X le Sage, des Romanceros fronterizos (romances historiques) particulièrement ceux des guerres de Grenade. Pour la période finale, nous avons choisi les villancicos de Juan del Enzina, de Gabriel et des pièces anonymes du Cancionero Musical de Palacio, interprétés par les solistes de La Capella Reial de Catalunya et d’Hespèrion XXI que nous avons complétés par des textes historiques récités avec éloquence par le poète hébraïste et arabiste Manuel Forcano.

Nous évoquerons certains moments essentiels de l’apogée arabo-andalouse grâce à des Mowachah et Maqams, à des chansons sur les textes et les poèmes d’auteurs comme Ibn Zuhr (1073-1162) ou Ibn Zamrak (1333-1394) et des évocations et des danses instrumentales, conservées oralement dans les villes et les pays où émigrèrent massivement les Andalous pendant et après les guerres de Grenade. Grâce à la maîtrise créatrice et à l’art de l’improvisation vocale et instrumentale de nos chanteurs et musiciens de Syrie, du Maroc, de Turquie, de Grèce et d’Israël, ces musiques – qui ne furent jamais écrites mais toujours conservées par tradition orale – seront magnifiquement recréées. Tous ces musiciens possèdent la connaissance des traditions propres au style arabo-andalou qui s’est conservé en Afrique du Nord et au Proche Orient.

Notre dernière évocation historique et musicale fera appel au souvenir de la conversion forcée de tous les musulmans du royaume de Grenade en 1502. Pour ressentir l’émotion et la tragédie de cette dernière imposition arbitraire, il suffit d’écouter le dialogue bouleversant entre la chanteuse syrienne Waed Bouhassoun et le chantre israélien Lior Elmaleh sur la Lamentation andalouse Maqam Hizaj, de l’immense poète d’Al-Andalus Ibn Zeydoun (1003-1071), chanteurs accompagnés par l’expressivité du oud, du kanun et du ney. Vous percevrez combien sont restées pleinement en vigueur les traditions transmises de père en fils et de maître à disciple durant des siècles. Ces traditions sont toujours vivaces grâce à l’effort et au talent de tous ces merveilleux musiciens orientaux.

Cet enregistrement est un hommage passionné au pouvoir de la musique en faveur de l’essor de l’échange interculturel et à tous les musiciens qui, en participant à cet enregistrement, l’ont rendu possible avec leur extraordinaire talent, leur humanité et leur généreuse capacité de dialogue engagé, dépassant leurs origines, leurs cultures et leurs croyances.

 

JORDI SAVALL
ellaterra, 3 Avril 2016  

Traduction : Klangland

 


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