Analyste: Jérémie
Bigorie
JORDI SAVALL CONFÈRE UN SURCROÎT D’UNIVERSALITÉ À
CETTE MUSIQUE, LÀ OÙ D'AUTRES
LA CIRCONSCRIVENT DAVANTAGE AU SÉRAIL VERSAILLAIS.
Aux grands moments qui cadencent la liturgie mariale (Canticum in honorem
Beate Virginis Mariae inter homines et angelos, Pour la conception de la
Vierge, Nativité de la Vierge, Salve Regina, Pour la fête de l’Épiphanie,
Magnificat, Stabat Mater pour les religieuses et Litanies), auxquels
Jordi Savall consacra un enregistrement pionnier en 1989 repris ici, sont
ajoutés dans ce « livre‑disques » la Missa Assumpta est Maria et
Nuit donnés à la Chapelle Royale de Versailles en 2004 ‑ la Capella de
Catalunya se substituant à la crème des chanteurs baroques du moment (la
regrettée Montserrat Figueras, Gérard Lesne, mais aussi la soprano Maria
Christina Kiehr ou le ténor John Elwes) ‑, ainsi que le Concert pour
quatre parties de violes enregistré en 2013 (avec Philippe Pierlot au
haute‑contre de viole). Voilà qui compose un hommage au Charpentier
religieux d'une grande cohérence en même temps que s’aiguise, au fil des
années, l'interprétation du Catalan. Une interprétation d'une profonde
intériorité et vivante à la fois, sachant trouver le climat idéal pour
chaque pièce, quitte à faire preuve d'une certaine sensualité dans ces
diverses évocations de la Vierge qui n’est pas sans rappeler l'univers
mystique de Saint Jean de la Croix. Malgré l’effectif modeste requis pour la
Missa Assumpta Est Maria conformément à la version retenue (celle
dite H. 11a du deuxième manuscrit), se fait jour un geste large et
enveloppant, renforcé par une acoustique onctueuse et une prononciation
classique du latin qui confère un surcroît d'universalité à cette musique de
là où d'autres, en s'attachant à restituer une prononciation à la française,
la circonscrivent davantage au sérail versaillais ; un Charpentier qui ne
plaira pas aux aristarques, donc, mais qui présente l'avantage appréciable
de parler au plus grand nombre. Le souci musicologique n'est pas écarté pour
autant: il n'est que de noter les ajouts bienvenus des parties « colla
parte » ainsi que des brèves Symphonies introductives au
Cantum et au Magnificat « en accord avec les pratiques usuelles de
l'époque » (Catherine Cessac). Une grâce incoercible se dégage des
rythmes inégalisés avec liberté par les chanteurs: on aime ces phrasés
veloutés qui ne scandent jamais à outrance, y compris dans le Credo
de la Messe destiné à la fête de l'Assomption, sans doute la plus
belle des onze. Le DVD, capté à la Chapelle Royale du Château de Versailles,
donne à voir cette chorégraphie que dessine la paume de la main du violiste
‑ déjà une invitation à la musique en soi. Le Concert pour quatre parties
de violes prolonge l'atmosphère de recueillement de la Messe dans
une optique opposée à la version de William Christie (Erato), laquelle
distribuait les mouvements parmi des airs profanes. Soulignera‑t‑on enfin la
beauté de l'objet ‑ celui‑là même qu'on a plaisir à thésauriser ‑ comprenant
une notice historique, la triple traduction des textes jointe à une superbe
iconographie ? Sans doute la meilleure introduction possible à l'oeuvre
sacrée du compositeur baroque français le plus joué.
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