Analyste: Philippe
Venturini
BACH SUR ORDONNANCE
« Un Prélude et fugue par jour apaise les tensions existentielles » prescrit
Kenneth Weiss en médecin avisé. N'hésitons pas à le consulter. Régulièrement.
Quelle version récente du Clavier bien tempéré au clavecin recommander ? La
question peut sembler saugrenue mais les réponses ne se bousculent pas.
Gustav Leonhardt reste bien sûr très recommandable mais il appartient
désormais à l'histoire (DHM, 1967) et pâtit d'un son ingrat. Ne restent
alors que Ton Koopman (Erato, 1982), Blandine Verlet (Astrée, 1993) et
Christine Schornsheim (Capriccio, 2010) pour les intégrales sans oublier,
pour le Livre I, Pierre Hantaï (Mirare, 2001‑2002), et pour le
Livre II, Sébastien Guillot (Saphir Productions, 2009) et Christophe
Rousset (Aparté, 2013, «Choc» de Classica). C'est peu en regard d'une
imposante discographie. Aussi accueille‑t‑on Kenneth Weiss avec une
curiosité attentive. L'artiste a choisi l'instrument Ruckers‑Taskin
1646/1780 du musée de la Musique que la prise de son aurait pu faire sonner
avec davantage de plénitude dans le grave (est‑ce l'acoustique de la salle
?). Ces épaules un peu étroites n'affectent heureusement pas la santé et le
rayonnement d'une lecture les plus solaires de la discographie. Qui
craindrait encore d'approcher cet ensemble de quarante‑huit préludes et
fugues redoutant un pur exercice cérébral y entendra la plus sensible des
discours. Dès le fameux Prélude n°
1 du Livre I, Kenneth Weiss dévoile son jeu: celui de la
modestie comme il l'annonce dans son texte mais aussi de la lisibilité
polyphonique (jamais de registrations chargée), de la fluidité des phrasés
et de la souplesse du tempo. Ainsi n'hésite‑t‑il pas à faire attendre un
premier temps pour signaler une modulation ou une carrure
jamais mécanique (le
tournoiement obstiné des doubles croches du Prélude n°
2), souvent primesautier (les sauts réguliers des croches de la main
gauche du Prélude n°
5), parfois hâbleur avec des airs de Scarlatti (Prélude n°
5, Livre II) mais
aussi capable de gravité sans pourtant traîner les pieds (Fugue n°
8, Livre II), Kenneth Weiss convainc toujours des effets positifs de cette
oeuvre.
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