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Analyste: Gaëtan Naulleau Dix‑huit ans: Masaaki Suzuki et son Collegium de Kobé, qui se risquaient dans un premier disque de cantates en 1995, ont bouclé leur odyssée au même rythme que le binôme Harnoncourt‑Leonhardt une génération auparavant. Sorti de la classe de Ton Koopman, le claveciniste a su trouver un ton qui n'appartient qu'à lui, une manière aussi distincte d’Herreweghe que de Gardiner. Son Bach est formel: la transparence est son mot d'ordre, l'ajustement des lignes dans la polyphonie son principe. Voix et instruments font jeu strictement égal, et le continuo acéré tient un rôle décisif. Les paroles ont peu de poids dans ses choix musicaux. Séduire l'intéresse peu. La manière de Suzuki s'apparente à celle d'un ostéopathe: dégager les tensions (mélodiques) superflues, concentrer l'énergie (rythmique) sur de petits ressorts puissants, trouver dans le geste un parfait équilibre, qui donne à la plus modeste impulsion une retombée durable. Sa phrase a la continuité dune arabesque.
Voilà pour la
méthode, égale d'un volume à l'autre mais imprévisible dans ses fruits. La
musique ne s'embarrasse pas d'équations. C'est quelquefois glacial,
quelquefois admirable seulement. L’avant‑dernier volume (cantates du milieu
des années 1730) nous montre l'équipe nippone au sommet, capable d'une
poésie entêtante dans la sicilienne pour flûte et soprano de la BWV 100,
d'une tendresse maternelle dans la berceuse pour alto de la BWV 197.
On pense à Leonhardt dans deux choeurs rutilants, raffinés et sauvages, où
le tutti parade au‑dessus d'appuis secs comme des coups dans le plexus. On
suit bouche bée le modelé des lignes austères et des chromatismes dans le
portique de la BWV 14 ‑ un cantus firmus purement instrumental se
glisse en filigrane à travers le contrepoint choral, chose unique chez Bach.
On se réjouit de voir le contre‑ténor anglais qui nous a fait souvent
grincer des dents remplacé par le jeune Damien Guillon, idéalement réactif
aux phrasés sveltes de Suzuki, digne des meilleurs hautboïstes pour amortir
et galber les attaques. Pendant la première décennie de l'intégrale, le Bach
Collegium devait régulièrement faire appel à des instrumentistes européens
pour combler ses manques. Ironie du sort, le seul maillon faible, entre des
flûtes, des hautbois, un violon solo, un violoncelle superlatifs, est cette
fois l'unique musicien « importé » ! |
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