Analyste: Philippe Venturini
RAMEAU L’AMERICANO
Il fallait que Rameau franchisse l’Atlantique pour retrouver son énergie
tempétueuse à l’occasion de sa rencontre avec l’Orchestre Simón
Bolívar.
C ‘est à l’occasion de concerts suivis d’un enregistrement des Quatre
Saisons de Vivaldi avec Lara St. John (Ancalagon) que Bruno Procopio a
rencontré l’Orchestre Simón Bolívar. « J’ai constaté l’aisance avec
laquelle les musiciens [...] interprétaient la musique de danse ; il était
évident pour moi que j’allais trouver avec eux l’éloquence nécessaire pour
faire vivre la musique de Rameau. » Faut-il en effet s’étonner qu’un en
semble qui a donné des fourmis dans les jambes au public huppé de Salzbourg
et Lucerne avec des Bernstein, des Revueltas et autres Ginastera endiablés
ait le sens du rythme ? Dès les premiers ré impatients de l’ouverture
de Zoroastre, on comprend que le pari est gagné et que ce Rameau va
nous étourdir. Alors, oui, bien sûr, les passages les plus spectaculaires,
immédiatement descriptifs, font un effet formidable: l’Air des esprits
infernaux de Zoroastre, l’Entrée pour les guerriers de
Dardanus ou la renversante ouverture d’Acanthe et Céphise. « Quand
un orchestre intitule un de ses disques Fiesta, il doit savoir bouger et
jouer des percussions » maugréeront les sceptiques qui n’imaginent qu’un
concerto pour timbales et tambourins. Mais en plus de cette énergie
contagieuse et de cet enthousiasme inépuisable déjà très appréciables (et
rares !), les musiciens de l‘Orchestre Simón Bolívar font montre d’une
discipline et d’une maîtrise du style stupéfiante qui leur permet de
dessiner un gracieux passepied ou de ne pas s’égarer dans les lacis d’une
chaconne.
Tant d’évidence avec un
orchestre moderne aux cordes nombreuses relève du miracle. Les flûtes en
métal et les trompettes à piston ne font certes pas oublier leurs ancêtres
aux sonorités autrement plus séduisantes et Procopio ne détrône pas les
Brüggen, Christie, Gardiner et Savall. Mais cette expérience exotique révèle
comme rarement la fantaisie effrontée de Rameau.
Tous à Caracas !
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