Analyste: Roger Tellart
GESUALDO, ÇA GLACE
C’est un Gesualdo sans fard, mélancolique et jaloux que nous font découvrir
les musiciens du Concerto Soave où la plainte est indissociable du plaisir.
Voilà le disque qui va au coeur des paradoxes gesualdiens, où l’impression
d’étrangeté naît du conflit entre une écriture pensée à la lumière de la
Renaissance comme le reflet idéalisé d’un monde de perfection et les aléas
de la vie, « perçue comme un songe chaotique, si ce n’est une vague promesse
de félicité post mortem ». Un Gesualdo où la douleur est exacerbée par
l’insidieux glissement chromatique des voix. Dans cette vision
psychanalytique des choses, la mort s’installe au coeur de la vie. Et c’est
là que l’équipe du Concerto Soave, réunie autour de l’orgue ou du clavecin
de Jean-Marc Aymes, assoit heureusement sa différence, avec des lectures
toujours signifiantes à 5 et 6 voix. Le dérèglement des sens s’y traduit par
un dérèglement du discours, pour autant extrêmement élaboré. C’est toute la
gamme du « vécu » des hommes qui s’y exprime par le biais d’une musique qui,
tout ensemble, nous parle d’amour et de désir funèbre. Dans ce contexte, les
climax sonores sont euphorisants mais illusoires images d’un monde écartelé
et d’un art de la distorsion qui débouche finalement sur une impasse dont la
tireront les monodistes et surtout Monteverdi qui « redonnera chair et vie à
la musique des hommes ». Reste la leçon de musique qui n’est jamais vaine,
avec, en contrepoint, la découverte des oeuvres d’Ascanio Maione
(1565-1627). Un contemporain napolitain d’origine obscure (il était proche
du Flamand de Macque), mais un rare talent qui brille ici tant dans le
registre des pièces pour orgue que dans celui des Capricci per sonare
(harpe et clavecin) où l’experte Mara Galassi est à l’aise, achevant de
faire de cet album un événement dans le fascinant univers acoustique du
prince de Venosa.
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