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Diapason # 657 (05/2017)
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Analyste: Gaëtan Naulleau

La Passion selon saint Jean réduite à un chanteur par partie (soit huit, plus l'Evangéliste) ? Mais dans une approche de cet effectif assez éloignée de l'équipe vocale plus modeste de John Butt, en 2012 (Linn, cf. no 646). La lecture intensément théâtrale d'un chef qui sait tout de Handel, Rameau, Offenbach ? Certes, si par « théâtre » on entend l'art du timing, d'une trajectoire longue, et non des effets ou des détails sophistiqués dont René Jacobs se régalait en 2015 (HM). L’enregistrement de Marc Minkowski, réalisé l'année précédente, avec un Évangéliste remplacé au pied levé quelques jours avant, paraît enfin et confirme la réjouissante diversité qui irrigue encore la scène baroque, un demi‑siècle après la première Saint Jean d'Harnoncourt.

Joshua Rifkin est donc passé par là ‑ mais écoutez la clameur renversante de « Christus, der uns selig macht » avant de parler de « minimalisme » ! Minkowski, à la différence de Butt et Parrott (Virgin) ne suit pas le matériel autographe à la lettre, et distribue, par exemple, les airs de soprano entre deux dames. Mais il soigne les deux pages où la répartition des rôles voulue par Bach (et occultée par la plupart des enregistrements) a le plus grand impact expressif : c'est l'Évangéliste lui‑même qui s'élance, après avoir dit la détresse de Pierre, dans les accents paniqués de « Ach, mein Sinn » (extraordinaire ici, par la tension qui se libère enfin au terme d'une première partie sans répit). Et c'est le toujours noble Christian Immler, qui « était » le Christ, que nous entendons juste après son dernier soupir entonner « Mein teurer Heiland », dans une identification lumineuse ‑ la mort de l'un est la naissance de l'autre.

Dans ce dernier air, la prise de son, qui dissout à distance le choral en dialogue, relève d'une imagerie romantique plutôt que des usages en 1724, L'éloignement des chanteurs installe également le portique « Herr, unser Herrscher » dans une perspective trop chorale: on ne peut qu'imaginer l'impact que de telles voix, et de telles personnalités, auraient gagné si les micros les avaient restituées devant l'orchestre, comme au temps de Bach (voir la captation magistrale de Philip Hobbs pour John Butt). Dans les airs, en revanche, les voix ont légèrement l'avantage sur les instruments solistes des Musiciens du Louvre. Est‑ce l'éloignement, le manque de grain, qui nous font ressentir que tous sont excellents mais aucun exceptionnel ?

Le choeur de solistes, pour Minkowski, n'est pas seulement le garant d'une mobilité et d'une réactivité polyphoniques supérieures : il est indissociable d'une continuité du geste et d'une parole qui ne s'essouffle jamais. Les chorals ne sont pas ici les pauses peaufinées ou nombrilistes que de plus en plus de chefs s'y accordent (maximum d’effet, minimum d'efforts), mais un franc relais de la narration par l'assemblée puissante. C'est d'ailleurs à l'élan de ces chorals, plus qu'aux airs ou aux récitatifs, que cette passion doit l'un des minutages les plus serrés de la discographie et cela sans aucune précipitation. En misant sur un souffle assez égal, Minkowski met Ditte An­dersen sur la voie d'un « Ich folge dir » moins aérien qu'à l'habitude, aussi déterminé que David Hansen dans son « Von den Stricken » rongé par la colère et la culpabilité. Chapeau à l'un et l'autre.

On devine l'influence d'Harnoncourt et du disque de Schreier (Philips) dans la noirceur de la première partie; de la comparution et de la crucifixion, où les impressionnants choeurs de foule sont projetés d'un geste vif et droit, mais Minkowski trace un autre sillon spirituel à partir d'un « Es ist vollbracht » résigné, bercé par une viole hyperlegato qui sera affaire de goût. Dès lors, la trajectoire unifiée englobera un « Zerfliesse » où le flot des larmes est vecteur de soulagement, non plus d'affliction. Belle idée, mais cette fois l'air s'épuise malgré le beau phrasé de Lenneke Ruiten, tout comme un « Erwäge » où Colin Balzer peine à habiter le tableau éthéré que le chef installe dès l'arioso de basse précédent (« Betrachte, meine Seel », effaré et morbide).

L'autorité de Lothar Odinius, qui sait presser la déclamation évangélique sans s'agiter, et dire l'horreur sans s'apitoyer, est un autre bonheur de cette fresque où la profondeur du sens prime partout sur la vanité du détail. Profondeur, aussi, dans cet orchestre sombre, dont les micros nous dérobent les contours mais flattent la rumeur colorée des violoncelles, du basson, de la contrebasse et du contrebasson ajouté en 1749.

 

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