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Analyste:
Denis Morrier
Comme
la relève se faisait attendre! Depuis vingt ans, trois grands ensembles de
madrigalistes, aux choix esthétiques assez proches et aux filiations évidentes,
ont profondément renouvelé l'interprétation des répertoires vocaux italiens des
XVIe et XVIIe siècles : Ie Concerto Italiano, La Venexiana et La Compagnîa del
Madiîgale. A leurs sonorités résolument méridionales succède aujourd'hui la
palette plus « pastel » et superbement nuancée du groupe cosmopolite constitué à
la Schola Cantorum de Bâle en 2012. Son nom a valeur de credo : des voix
indéniablement « suaves » s'unissent pour éclairer le contrepoint d'une lumière
claire et chaleureuse.
Leur premier disque nous saisit par son charme. Ainsi, le radieux
Sorgi e rischiara de Giaches De Wert allie limpidité contrapuntique et
profondeur sensuelle pour atteindre l'expression la plus juste. Le programme,
très soigné dans ses enchaînements, se concentre sur les répertoires
madrigalesques « avant‑gardistes » des cours de Ferrare et Mantoue. La première
est représentée par sonmaître de chapelle, Luzzaschi, et son émule, le
prince Gesualdo. La seconde n’est pas seulement illustrée par l'emblématique
Monteverdi, mais aussi par son plus fameux prédécesseur, Giaches De Wert, et de
manière plus frappante encore par le duc Guglielmo Gonzaga. Ce haut personnage,
qui régna à Mantoue de 1550 à 1587, fit ériger au coeur de son palais la
basilique Santa Barbara. Il admirait Palestrina, fut le protecteur d'Alessandro
Striggio senior et de Giaches De Wert, et comptait parmi les aristocrates
compositeurs les plus prolixes de la Renaissance (aux côtés de Gesualdo, des
comtes Alfonso Fontanelli, Girolamo Branciforte et du cavalier Giovanni
Del Turco). Les madrigaux et l'oeuvre religieuse de Guglielmo Gonzaga restant en
grande partie inédits, c'est une initiative bienvenue que d'avoir introduit son
Padre, ch'el ciel e la terrra dans ce passionnant panorama
madrigalesque.
L'ensemble séduit immédiatement par la complicité subtile de chanteurs réactifs au moindre accent,
par la richesse de ses timbres et par la transparence des polyphonies. Les
madrigaux « classiques », à l'atmosphère bucolique et arcadienne (tel le
pathétique Tirsi morir volea de Giaches De Wert) sont nourris par un art
précieux de l'élégie. En contrepartie, on pouvait attendre plus de théâtralité
dans les madrigaux à la modernité militante, comme le fameux Tamo mia vita
du Livre V de Monteverdi. Et les sopranos à découvert dans le Io
mi son giovinetta de Luzzaschi (avec un théorbe au lieu du clavecin)
manquent de netteté et d'articulation dans les redoutables passaggi.
L'atmosphère radieuse et contemplative qui prévaut dans la plupart
des madrigaux au programme suffit toutefois à nous ravir. Ces « voix suaves »
apportent une nouvelle touche de couleur à un paysage musical jusqu'alors
solidement dessiné.
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