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Diapason # 631 (01/2015)
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Berliner Philarmoniker
 BPHR140031




Code-barres / Barcode: 4260306180318 (ID484)

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Analyste: Gaëtan Naulleau

Pour la Passion selon saint Jean créée et filmée en mars dernier, le pari était sans doute plus facile que pour la Saint Matthieu en 2010, avec Simon Rattle déjà, les Berliner, quasi les mêmes solistes et le chœur de Simon Halsey, acteur à part entière (Diapason d’or de l’année, cf. no 627).
Plus facile ? Car la première Passion de Bach est moins développée, plus franche dans sa vision théologique, plus continue dans son récit, plus propice à un déroulement scénique « réaliste ». La réussite du nouveau spectacle est donc moins vertigineuse. Mais vertigineuse en soi, par ce mélange de compassion et de dialectique précise, de premier degré subtil et de symbolisme, de transparence dramaturgique et de profondeur signifiante, qui n'appartient décidément qu'à Sellars. Il n'y a rien à contempler en scène mais tout à comprendre et sentir.

Impossible d'isoler un chanteur ou un instrumentiste à l'heure des superlatifs. La méforme de Topi Lehtipuu ne pèse pas un instant sur l'intensité du propos, Tilling, Kožena, Gerhaher, Williams, le choeur exposé à des risques considérables et fantastique nous tirent des larmes. La métamorphose stylistique des Philharmoniker, encore plus à l'aise qu'en 2010 dans la synthèse « historiquement informée » osée par Rattle, devrait être, mieux qu'un exemple, une inspiration pour tous les orchestres.

Les deux spectacles, forcément apparentés par le dispositif scénique et la complicité symbiotique de Sellars et Rattle, s'avèrent aussi différents que les deux partitions (et les évangiles). La « ritualisation » monumentale et intime de la Saint Matthieu fourmillait d'inventions simples et justes : aucune ne se répète ici. On retrouve bien l'envolée du choeur quittant la scène, mais cette fois pour disparaître (« Eilt ihr angefocht’nen Seelen » peuplé de fantômes). La Saint Matthieu reposait sur l'association du Christ (satellisé à l'écart) et de l'Evangéliste (vivant les mots dans sa chair) : cette fois le Christ est en scène, tête haute et dos accablé.

Le sol devient un élément central : où le Christ chute les yeux bandés, où Pierre est terrassé sous ses larmes, où le génial Gerhahrer (à la fois Pierre et Pilate, miroir de nos lâchetés) tentera de se relever tout au long de « Mein teurer Heiland ». La croix est horizontale : le Christ à terre se dérobe à nos regards magnétisés par la main tendue à Madeleine (Kožena). Au début, nous découvrons le choeur allongé; l'énergie avec laquelle les choristes lèvent un bras ou se redressent, le jeu des gestes synchrones ou indépendants, animent cette armée des ombres avec la détresse de la prière, la violence de l'exhortation, la flamme de la glorification. Rien n'est simple dans ce théâtre (et cette musique) mais tout est franc.

« Betrachte, meine Seel » résume l'essence dialectique de la direction de Rattle et des visions de Sellars. On entend presque toujours dans cet arioso une suspension lente et uniforme, plus ou moins attendrie selon les barytons, où se fige la stupeur du croyant face au dos sillonné de sang. Cette fois les affects s'entremêlent, horreur et suavité, cruauté et sérénité, dans une progression oppressante soupesée par l'alchimiste Gerhaher. « Délice anxieux », « plaisir amer », « Ton bien le plus cher repose sur les douleurs du Christ » : combien de musiciens nous ont donné à entendre si précisément l'ambivalence des paroles choisies par Bach ?

Le néophyte découvrira le chef‑d'oeuvre à travers cette proposition qui lui livre fraternellement les clefs du projet spirituel de Bach. Celui qui pense connaître la Saint Jean parce qu'il garde en mémoire chaque mot et chaque note aura mille surprises et révélations. 

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