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Analyste: Roger Tellart La fortune des Lamentations dans la musique occidentale est en soi une aventure hors du commun. Mêlant le drame à la détresse et à la méditation, la déploration du prophète Jérémie, qui ne se chante que pour la liturgie de la semaine sainte, a inspiré tout un paysage endeuillé de repentir et de contrition à des générations de contrapuntistes, avant les déchirements baroques des Leçons de ténèbres du Grand Siècle. Dans ce premier parcours pour Harmonia Mundi, les atouts de Van Nevel tiennent avant tout dans la gradation des humeurs sacrées, supérieurement diversifiées d'une oeuvre à l'autre. Ainsi, à l'expressionnisme (osons le mot) du Crémonais Tiburtio Massaino, caractéristique des objectifs de la Contre-Réforme en Italie - avec une polyphonie souvent rythmée syllabiquement - succède la fascinante intemporalité de l'Anglais Robert White, aux poignantes frictions harmoniques (fausses relations) et comme immergée dans l'indicible. Puis, après la gravité désolée de Marbrianus De Orto (un Flamand francophone, né Dujardin), vient le grand moment de l'enregistrement avec les Lamentations de Roland de Lassus qui sonnent, à l'instar des Larmes de saint Pierre, comme le testament du maître montois.
L'interprétation du Huelgas Ensemble marque irréversiblement ce chef-d'oeuvre de la grande polyphonie expressive à cinq voix où chaque incipit de l'alphabet hébraïque (Het, Teth, etc.) est habillé d'un somptueux mélisme et où le divin Orlande joue de toutes les ressources d'un art plus d'une fois prémonitoire des affects et émotions du siècle à venir. Dans ce clair-obscur propice au vertige doloriste autant qu'à la contemplation éperdue, la volonté perfectionniste de Van Nevel se déploie à son aise, donnant sa juste ampleur au tactus pour culminer dans la Lamentatio tertia, la plus vrillante des plaintes de l'âme. À coup sur, un vrai joyau dans l'opulente saga du Huelgas Ensemble, au disque.
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