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Une aventure « héroïque » ; finaliser
l’intégrale des neuf symphonies de Beethoven La finalisation de notre projet d’intégrale des Symphonies de Beethoven, qui avait commencé avec les symphonies 1 à 5, en 2019, fut retardée en 2020 par l’expansion de la pandémie du COVID-19. Mais malgré les nombreuses difficultés et complications dues aux limitations de rassemblement dans les lieux fermés et aux contrôles sanitaires obligatoires, nous avons pu maintenir actives en 2020, nos 1ère et 2ème Académies Beethoven 250, pour les symphonies 6 et 7 que nous avons réalisées en juillet 2020 ainsi que la 3ème Académie pour les symphonies 8 et 9 que nous avons pu maintenir comme prévu à La Saline Royale d’Arc-en-Senans. La 4ème Académie commença le 6 octobre avec le travail sur les mouvements instrumentaux des symphonies 8 et 9, et le 7 octobre nous commencions les répétitions avec le chœur, pour le concert du 9 octobre et l’enregistrement. Mais par malchance, le lendemain le 8 octobre, jour où nous devions commencer l’enregistrement de la 9ème avec les parties chorales du 4ème mouvement, on nous informa que quatre chanteurs du chœur étaient malades du COVID-19. Une fois passé le choc initial et assumé que nous avions un grand risque d’avoir été contaminés, nous avons pu sauver le concert du 9, prévu avec la 9ème en jouant seulement les trois mouvements orchestraux sans chœur, dans l’ordre 1, 3 et 2 (comme il avait déjà été fait au temps de Beethoven) qui furent complétés avec la 7ème symphonie. Le 10, nous avons pu encore enregistrer la symphonie 8, et le 11 octobre nous sommes tous retournés à nos lieux de résidence respectifs, après avoir fait des tests PCR. Malheureusement le lendemain, pour quelques-uns d’entre nous, (dont moi-même), le résultat du test PCR était positif, ce qui en conséquence nous obligea à annuler toute la tournée des concerts prévus pour la suite : à Paris, Barcelone, Hambourg, Milan, Turin, Rimini, Lisbonne, etc. Ce fut une véritable catastrophe artistique et économique (et même assez difficile du point de vue de nos états d’âme). Heureusement pour la plupart d’entre nous, sauf deux musiciens qui furent plus durablement affectés, les effets de la maladie furent, à part une grande fatigue et un total épuisement durant trois longues semaines, sans grandes conséquences. Durant la première moitié de 2021 nous avons souffert encore pleinement les effets globaux de la Pandémie du COVID-19, avec beaucoup d’annulations de concerts, mais fort heureusement, nous avons pu refaire l’enregistrement complet de la 9ème, les 30 septembre et 1er octobre passés, à la suite de notre 2ème Académie Schubert (Cardona, 26-29 Septembre 2021), durant laquelle nous avons enregistré les Symphonies n. 8 en Si mineur (Inachevée) et la n. 9 en Do majeur de Schubert. Cette fois nous avons pu incorporer les chanteurs de notre nouvelle CAPELLA NACIONAL DE CATALUNYA, créée à partir des solistes de LA CAPELLA REIAL DE CATALUNYA et élargie avec l’incorporation de jeunes chanteurs de toute l’Europe (sur le même principe que nous appliquons au Concert des Nations), que nous avons sélectionnés durant toute l’année 2021, au cours des auditions faites à Paris et à Barcelone. Maintenant nous pouvons oublier ces deux années compliquées et dangereuses, parce qu’enfin nous avons gagné contre le COVID-19. Nous avons ainsi le grand plaisir de vous présenter ici le Deuxième Album de notre Beethoven Révolution, avec l’enregistrement des quatre dernières symphonies 6 à 9, qui complètent ainsi l’intégrale commencée en 2019. Un détail amusant : si le jour de la naissance de Beethoven se situe le 16 décembre de l’année 1770, logiquement l’année d’anniversaire doit se situer entre décembre 2020 et décembre 2021, donc nous arrivons exactement à temps pour conclure magnifiquement les 250 années d’anniversaire de ce grand génie du symphonisme et de la musique, avec ce deuxième Album et notre concert au « GranTeatre del Liceu » de Barcelone le 15 décembre 2021. Le contexte historique et la réforme que Beethoven préconise sur l’implantation des indications du tempo grâce au métronome de Maëlzel. Le contexte historique : nous sommes en 1806, Beethoven vient de finir la « Sonate Appassionata » et les « Trois Quatuors Razoumovski » et ses réactions face à ce qu’il appelle le tourbillon mondain, (qui peut devenir un monde vraiment hostile, du fait du pouvoir absolu de l’aristocratie), nous éclairent totalement sur l’état d’âme de notre compositeur, mais aussi sur sa confiance en sa puissance créative et l’intime conscience de son destin libérateur. Au mois de mai 1806, Beethoven finit les premières ébauches de la Sixième Symphonie et se contente de charger Franz von Brunsvik d’embrasser sa sœur Thérèse … fraternellement. Pas d’amour nouveau dans sa vie (du moins qui nous soit connu). Jean et Brigitte Massin (dans son Essai sur la vie de Beethoven) nous rappellent, que Beethoven « commence à réagir, dans les mois qui viennent, à l’échec de Fidelio par un redoublement d’activité créatrice et d’affirmation victorieuse de lui-même. Il ose même affronter davantage les sociétés humaines. En cette année où s’ébauchent les Cinquième et Sixième Symphonies, il est sûr de lui comme jamais, et si la « cabale » a réussi à briser les reins à son opéra, elle n’a pas réussi à lui faire douter de sa victoire sur le destin ». En marge d’une esquisse du 9ème Quatuor, il écrit : « De même que tu te jettes dans le tourbillon mondain, de même tu peux écrire des œuvres, en dépit de toutes les entraves qu’impose la société. Ne garde plus de secret sur ta surdité, même dans ton art ! ». C’est à ce moment qu’à propos des trois Quatuors Razoumovski s’affirme sa fierté. Quand le violoniste Radicati scandalisé par leur caractère révolutionnaire, déclare que ces quatuors ne sont plus de la musique, Beethoven lui répond tranquillement : « Oh ! ce n’est pas pour vous ! C’est pour les temps à venir ! ». Et quand Schuppanzigh lui-même souligne les difficultés d’exécution qu’il rencontre dans le 7ème Quatuor, Beethoven s’écrie : « Croyez-vous que je pense à vos misérables cordes, quand l’esprit me parle ? ». C’est aussi à cette époque, vers la fin de son séjour de presque deux mois en Silésie, que l’armée prussienne est anéantie simultanément, par Napoléon à Iéna et Davout à Auerstaedt, que se produit une forte discussion avec son mécène le Prince Lichnowsky. Durant la fin du séjour chez celui-ci, des officiers français étaient logés au château du prince, et c’est à leur propos qu’éclata la brouille qui fit rompre Beethoven avec lui. Citons de nouveau Jean and Brigitte Massin : « Lichnowsky, dans son désir d’être agréable aux occupants, s’est souvenu, du plus profond de ses entrailles princières, des droits féodaux qu’il détenait sur ses propres terres. Les musiciens sont bons pour le plaisir, et on peut se donner le luxe de ménager leur susceptibilité. Mais quand il s’agit de choses sérieuses, ils doivent être traités en domestiques. Et Lichnowsky, dont l’ineffable bonté allait jadis jusqu’à accepter de ne pas déranger Beethoven en pleine création créatrice, a dû cette fois, parler net, et ordonna à plusieurs reprises à Beethoven de jouer pour ses officiers français quelque chose au piano. Beethoven fût tellement excédé, qu’il se fâcha pour de bon et refusa obstinément de faire ce qu’il qualifiait de travail servile. Sans le comte Oppersdorf et quelques autres, on en serait venu à une rixe brutale, car Beethoven avait empoigné une chaise et allait la briser sur la tête du prince Lichnowsky, qui avait fait enfoncer la porte de la chambre de Beethoven, où ce dernier s’était verrouillé. Heureusement Oppersdorf se jeta entre eux […] Selon un autre témoignage, celui d’Ignaz von Seyfried, directeur de théâtre et ami de Beethoven – qui fût probablement témoin de la scène –, la menace de Lichnowsky de le mettre aux arrêts – menace qui n’avait rien de sérieux – eut pour résultat que Beethoven s’enfuit, par la nuit et le brouillard, à la ville voisine, et, comme porté sur les ailes du vent, se hâta de regagner Vienne par l’extra-poste. Lichnowsky avait parlé net, en tant que prince héritier du pouvoir féodal. Beethoven lui répond aussi net. Un peu plus de vingt ans auparavant, ayant reçu un coup de pied au derrière, du comte chambellan Arco, Mozart était parti sans mot dire en tremblant de rage. Beethoven, dès qu’il arrive à la ville voisine, avant de regagner Vienne, envoie un mot à son “ mécène ”. Lichnowsky le reçoit, le lit, le jette à terre avec dépit et sort. Son médecin, le Dr. Weiser, resta derrière lui pour le ramasser, et nous a conservé ce texte éclatant de bon sens : “ Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven.” » La réforme qu’il propose dès 1817, dans sa lettre du 23 janvier, – qu’il envoie à l’un de ses principaux éditeurs –, pour désitalianiser le langage musical se poursuivra. Beethoven sent bien que les dénominations musicales anciennes ne correspondent plus au caractère de sa musique ; et dans une lettre non datée, qu’il écrit, vraisemblablement à la même époque, au Hofrath von Mosel, il insiste autant sur le caractère moderne que sur le caractère national de la réforme qu’il préconise. « Je me réjouis cordialement de partager vos vues sur cette désignation des mouvements, qui nous vient encore de la barbarie de la musique ; car, par exemple, peut-il y avoir rien de plus absurde que ‘allegro’ qui, une fois pour toutes, signifie gai, alors que nous sommes souvent fort éloignés d’avoir une telle idée de ce mouvement, si bien que le morceau lui-même dit le contraire de l’indication ? […] autre chose sont les mots qui désignent le caractère du morceau ; ceux-là nous ne pouvons les abandonner, car si la mesure est plutôt, à proprement parler, le corps, ceux-ci ont déjà trait à l’esprit du morceau. Pour moi, il y a déjà longtemps que je pense à abandonner ces absurdes dénominations d’allegro, andante, adagio, presto ; le métronome de Maëlzel nous offre pour cela la meilleure occasion ». Au niveau des décisions interprétatives les plus importantes, il y avait bien sûr cette question essentielle du tempo demandé par Beethoven, que nous savons avec exactitude, grâce aux indications métronomiques que le compositeur lui-même nous a laissées « afin d’assurer l’exécution de mes compositions partout selon les tempi que j’ai conçus, lesquels, à mon regret, ont si souvent été méconnus ». Malgré ces indications très précises de Beethoven lui-même, c’est malheureusement encore souvent que certains musiciens ou chefs d’orchestre ne considèrent pas que ces indications sont réalisables dans la pratique ou les méprisent en les considérant antiartistiques ! C’est à cette question, que répond Rudolf Kolisch, quand il affirme que « tous les tempi que Beethoven exige des instruments à cordes, tout au moins, sont parfaitement jouables sur la base de la technique moyenne d’aujourd’hui ». Comme je l’ai déjà commenté dans notre premier album, pour notre travail de réflexion et préparation de cette nouvelle interprétation de l’intégrale des Neuf Symphonies de Beethoven, nous sommes partis, tout d’abord de l’idée fondamentale de récupérer le son original et l’effectif de l’orchestre tel que Beethoven les a imaginés et dont il a pu disposer en tant qu’ensemble constitué par les instruments en usage en son temps. Comme pour les 5 premières symphonies, nous avons consulté les sources originales des manuscrits existants, et nous avons étudié et comparé les sources autographes et également les matériels existants des parties utilisées pour les premiers concerts, ainsi que les éditions modernes faites à partir de ces mêmes sources, avec pour objectif de vérifier toutes les indications de dynamique et d’articulation. Tout le travail orchestral s’est fait avec les instruments correspondant à ceux utilisés à l’époque de Beethoven et avec un nombre d’exécutants similaire à celui dont le compositeur disposait lors des premières exécutions de ses symphonies ; c’est à dire, autour d’un total de 55 à 66 musiciens selon les symphonies. Nous avons choisi 35 instrumentistes provenant de l’équipe des musiciens professionnels du Concert des Nations, parmi lesquels beaucoup nous accompagnent depuis 1989 et pour le reste des 25 instrumentistes, nous avons choisi de jeunes musiciens provenant de différents pays d’Europe et du monde, sélectionnés lors d’auditions présentielles parmi les meilleurs de leur génération. L’esprit de travail qui domine dans notre orchestre, c’est l’esprit de la musique de chambre, qui permet de donner le maximum d’attention à tous les détails de chaque partie instrumentale ou vocale, sans perdre de vue leur fonction fondamentale dans la construction de la structure formelle finale de chaque mouvement. Dès le départ il nous a paru évident que l’autre question fondamentale de notre projet était le temps d’étude nécessaire pour aborder et faire aboutir un travail si important et si complexe. Et pour cela, disposer d’un temps suffisant et généreux était une des conditions essentielles pour réussir à faire un labeur approfondi sur l’ensemble de ces neuf symphonies. Pour la réussite du travail et la répartition cohérente de l’Intégrale, nous avons distribué les 9 symphonies en quatre grands programmes, avec l’idée de les préparer durant deux ans. Chaque programme est étudié et répété respectivement durant deux différentes Académies intensives de 6 jours : dans chaque première académie, que nous appelons « Académie de préparation » se développe le travail de réflexion, d’expérimentation et de définition concernant tous les éléments essentiels à une interprétation aboutie. Dans les deuxièmes « Académies de perfectionnement », tout l’orchestre et chaque instrumentiste individuellement approfondissent toutes les questions fondamentales nécessaires à la réussite d’une interprétation fidèle à l’esprit de chaque œuvre. « La musique instrumentale de Beethoven, écrivait E. T. A. Hofmann, le 4 juillet 1810 dans l’Allgemeine Musikalische Zeitung, nous ouvre l’empire du colossal et de l’immense. D’ardents rayons percent la nuit profonde de cet empire et nous percevons des ombres de géants, qui s’élèvent et s’abaissent, nous enveloppant de plus en plus et annihilant tout en nous, et pas seulement la douleur de l’infini désir dans lequel sombre et disparaît tout plaisir sitôt surgi en notes d’allégresse ; et c’est seulement dans cette douleur qui se consume d’amour, d’espoir, de joie, mais ne détruit pas, et veut faire éclater notre poitrine dans un accord unanime de toutes les passions, que nous continuons à vivre et sommes des visionnaires ravis ». « L’équilibre nouveau des groupes instrumentaux (cordes et vents) – remarque André Boucourechliev – loin d’être mis en lumière par nos interprétations d’aujourd’hui, est souvent négligé. L’hypertrophie du groupe des cordes est un des penchants des plus tenaces du “ symphonisme ”, et pour beaucoup le terme de symphonie se traduit par “ orchestre de 120 exécutants ”. Ignaz Moscheles rapporte que Beethoven craignait par-dessus tout la confusion et ne voulait pas avoir plus d’une soixantaine d’exécutants pour ses symphonies ». Respecter cet équilibre nouveau est pour nous une question fondamentale, et c’est la raison première qui nous a fait choisir un nombre d’exécutants similaire à celui dont Beethoven a pu disposer dans les premières interprétations de ses symphonies : 18 vents et 32 cordes (10.8.6.5.3) correspondants aux instruments et diapason (430) utilisés à l’époque. « L’orchestre de Beethoven n’est pas l’instrument de puissance, le porte-voix, ni le revêtement de sa pensée musicale “ orchestrée ” : il fait corps avec elle, il est cette pensée ». De notre temps, de nombreux commentateurs, musicologues et critiques musicaux se sont exprimés sur l’œuvre de Beethoven et spécialement sur ses neuf symphonies, mais la réalité est que seul le mystère de son génie s’exprime par la sûreté de l’acte de la création tel qu’il transparait dans son œuvre. Cette énergie qui a tant frappé ses successeurs n’a jamais été transmissible – hormis à ceux qui, comme Bartók, appartiennent à la même espèce de musiciens, – du fait qu’en lui, l’acte de créer prend souvent lui-même la forme d’un combat. Beethoven s’est souvent battu avec lui-même pour créer, son œuvre résulte d’un processus de création qui témoigne d’une nouvelle conception de l’art. Rappelons que, juste après Haydn et Mozart – qui avaient amené la sonate, le quatuor à cordes et surtout la symphonie à un niveau de qualité totale –, Beethoven se trouve placé en un point de l’évolution musicale où le style classique a atteint des sommets inégalés. Comme le remarque si bien Bernard Fournier « Composer à la suite des deux grands Viennois, créateurs chacun à sa façon d’un nouvel univers musical porté à un tel point d’achèvement, constituait un défi dont l’enjeu sera longtemps masqué aux yeux des commentateurs par cet autre défi que l’ombre de Beethoven représentera ensuite pour ses propres successeurs ». Le paradoxe auquel nous sommes confrontés en ce XXIe siècle est celui qu’avait déjà exposé René Leibowitz il y a plus de 40 ans dans son livre Le compositeur et son double. Il rappelait alors « la place absolument privilégiée qu’occupe l’œuvre de Beethoven dans la vie musicale de notre temps (selon les résultats d’une récente enquête sur les divers degrés de “ popularité ” des grands compositeurs auprès du public mélomane) ». Ce pourquoi, il continue : « On serait tenté d’en déduire que publics et interprètes font preuve d’une prise de conscience réelle et profonde des valeurs musicales les plus authentiques, puisqu’il ne saurait faire de doute que ces valeurs ont trouvé dans l’œuvre de Beethoven, précisément, l’une de leurs expressions les plus élevées et les plus prestigieuses. A vrai dire, une pareille déduction n’est pas tout à fait sans fondement, et nous pouvons vérifier de la sorte que la célèbre théorie, selon laquelle l’œuvre géniale finit toujours par s’imposer de manière indubitable, comporte une certaine part de vérité. On peut d’ailleurs ajouter à cela que – qu’ils en soient complètement conscients ou non – public et interprètes arrivent inévitablement à choisir comme œuvre de prédilection celles qui le méritent le plus. Et cependant, on ne peut guère s’empêcher de penser que le cas de Beethoven, si on veut lui appliquer les théories que nous venons d’énoncer, est des plus troublants. En effet, il n’existe peut-être aucun autre compositeur qui ait été aussi constamment soumis à des traditions d’interprétations fausses et incongrues, traditions qui arrivent à déformer et à dissimuler le sens même des œuvres qui jouissent d’une aussi immense popularité … Situation paradoxale s’il en est une, puisque l’on semble adorer quelque chose que l’on ne connait qu’à travers des déformations, et que l’on déforme systématiquement quelque chose qu’on adore. » Notre travail de recherche et d’interprétation a voulu tenir compte de tous ces éléments de réflexion, à partir d’un réel retour aux sources et d’une conception originelle. L’objectif principal, qui est celui de projeter dans notre XXIe siècle, toute la richesse et toute la beauté de ces symphonies – très connues et trop souvent présentées sous une forme surdimensionnée et surchargée –, passe par redonner à ces œuvres l’essentiel de leur énergie propre, grâce à un véritable équilibre naturel entre les couleurs et la qualité du son naturel de l’orchestre qui est constitué – à cette époque – par les instruments à cordes de son temps (cordes en boyau et archets historiques), instruments à vent construits en bois (Woodwind) : flûtes, hautbois, clarinettes, bassons et contrebassons ; les instruments métalliques (Brass) : saqueboutes, trompes et trompettes naturelles et les timbales d’époque jouées avec des baguettes en bois. Il en résulte ainsi une brillance, une articulation, un équilibre et des dynamiques révolutionnaires, qui sont à la base d’un dynamisme fondé sur le respect des tempi voulus par Beethoven et ceux du phrasé qui en découle selon les indications de caractère et de la dramaturgie portée par la puissance spirituelle de son propre message. « Par son potentiel spirituel nouveau aussi bien que par sa structure sonore, – remarque André Boucourechliev, dans son livre fondamental sur ce compositeur –, la musique symphonique de Beethoven dépasse d’emblée tout caractère et tout contexte préétablis, s’élance à sa propre découverte, et rejoint – suscite même – un public nouveau. A cette société en mouvement, tournée vers l’avenir, aux désirs imprévisibles, aux exigences informulées, à ces inconnus, Beethoven donnera ce à quoi ils aspirent sans encore le savoir, et même sans encore le vouloir. Rapports nouveaux, épreuves de force hasardeuses, où la réticence et le malentendu côtoient l’exaltation collective […] Cette perpétuelle aventure d’une libre confrontation, nous continuons de la vivre, périlleusement, dans la musique d’aujourd’hui. C’est à Beethoven surtout que revient la gloire de l’avoir instauré ». Dans cette force révolutionnaire que portent en elles-mêmes les symphonies de notre compositeur, grâce à la voix multiple et puissante de l’orchestre, se crée une perpétuelle veille de l’esprit créateur, qui n’épuisera jamais leur jeunesse. JORDI SAVALL Hambourg, 9 octobre 2021
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ENGLISH VERSION
A “heroic” adventure:
finishing the complete cycle of Beethoven’s nine symphonies Finishing our project of the complete Beethoven Symphonies, which began with Symphonies 1 to 5 in 2019, was delayed in 2020 by the expansion of the COVID-19 pandemic. Nevertheless, and despite the numerous difficulties and complications due to the restrictions on gatherings in enclosed spaces and the mandatory health safeguards, we managed to go ahead with the 1st and 2nd Beethoven 250 Academies for Symphonies 6 and 7, which were held in July, 2020, as well as the 3rd Academy for Symphonies 8 and 9, held as planned at La Saline Royale d’Arc-en-Senans. The 4th Academy began on 6th October with work on the instrumental movements of Symphonies 8 and 9, and on 7th October we started rehearsing with the choir for the concert on 9th October and the recording. However, the day after 8th October, the day when we were due to start recording the Ninth with the choral parts of the 4th movement, we learned that four members of the choir had fallen ill with COVID-19. Once the initial shock had passed and we realised that we were seriously at risk of having picked up the infection, we were able to save the concert scheduled for 9th October, which was to have featured the Ninth, by playing only the three orchestral movements without the chorus, in the order 1, 3 and 2 (as had already been done in Beethoven’s day), as well as the Seventh Symphony. On 10th October, we were able to record Symphony No. 8, and on 11th October we all returned to our respective places of residence, after having taken PCR tests. Unfortunately, the next day, the PCR test came back positive for some of us (myself included), which forced us to cancel all of the remaining concert tour scheduled for Paris, Barcelona, Hamburg, Milan, Turin, Rimini, Lisbon, etc. It was a real artistic and financial catastrophe (and also difficult from the point of view of our state of mind). Fortunately, for most of us, except two musicians who took longer to recover, the effects of the illness, apart from severe fatigue and complete exhaustion for three long weeks, did not have major consequences. During the first half of 2021 we were still living with the global effects of the COVID-19 pandemic, which entailed numerous concert cancellations, but luckily we were able to re-do the complete recording of the Ninth Symphony on 30th September and 1st October, following the 2nd Schubert Academy (Cardona, 26-29 September, 2021), during which we recorded Schubert’s Symphony No.8 in B minor (“Unfinished”) and Symphony No. 9 in C major. On this occasion we were able to incorporate the vocalists of our new CAPELLA NACIONAL DE CATALUNYA, created from the soloists of LA CAPELLA REIAL DE CATALUNYA and enlarged with the addition of young singers from all over Europe (on the same principle that we apply to Concert des Nations) whom we had selected throughout 2021 at the auditions held in Paris and Barcelona. Now, having finally beaten COVID-19, we can forget these two complicated and dangerous years. We are therefore delighted to present Album 2 of our Beethoven Revolution with the recording of the last four symphonies 6 – 9, thus completing the cycle begun in 2019. On a lighter note: if the date of Beethoven’s birth was 16th December, 1770, logically the anniversary year must be counted from December 2020 to December 2021, which means that we are in good time to conclude in splendid style the 250th anniversary of this great musical and symphonic genius with this second Album and our concert at the Gran Teatre del Liceu in Barcelona on 15th December, 2021. The historical context and the reform that Beethoven advocated concerning the introduction of tempo marks, thanks to Maëlzel’s metronome. The historical context: in 1806 Beethoven had just finished his Piano Sonata No. 23, “Appassionata” and the Three Razumovsky Quartets, and his reactions in the face of what he calls the worldly maelstrom (which can be a truly hostile world because of the absolute power of the aristocracy), give us clear insight into not only the composer’s state of mind, but also his confidence in his creative power and the deep awareness of his liberating destiny. In May, 1806, Beethoven finished the first sketches for his Sixth Symphony and asked Count Franz von Brunsvik to kiss his sister Therese “fraternally” on his behalf. There was no new love in his life (at least not as far as we know). In their book on Beethoven, Jean and Brigitte Massin recall that Beethoven “began to react, in the months following the failure of Fidelio, with increased creative activity and triumphant self-affirmation. He even dared to venture out more into society. In the same year that he sketched out the Fifth and Sixth Symphonies, he was surer than ever of himself, and if the “conspiracy” against him had succeeded in sabotaging his opera, it didn’t succeed in making him doubt his victory over destiny.” In the margin of a sketch for his String Quartet No.9 he wrote: “Just as you throw yourself into the worldly maelstrom, so you can write works, in spite of all the hindrances imposed by society. Let your deafness be no longer a secret, even in your art!” It was then that, in relation to the three Razumovsky Quartets, Beethoven asserted his pride. When the violinist Radicati, scandalised by their revolutionary nature, declared that the quartets could no longer be considered music, Beethoven calmly answered: “Oh, they are not for you, but for an age still to come!” And when Schuppanzigh himself stressed the difficulties of performance that he had encountered in String Quartet No. 7, Beethoven shouted: “Do you really believe that I think about your wretched strings when the spirit moves me to compose?” It was also at this time, towards the end of his almost 2-month stay in Silesia, when the Prussian army was simultaneously defeated by Napoleon at Jena and by Davout at Auerstedt, that he had a furious quarrel with his patron Prince Lichnowsky. At the end of his stay at the prince’s country estate, some French officers were guests at the prince’s castle, and it was over them that the row occurred which led Beethoven to break off relations with Lichnowsky. To quote Jean and Brigitte Massin again: “Lichnowsky, wishing to please the officers of the occupying army, summoned from the depths of his princely being the feudal rights he held over his own land. Musicians were amusing, and one could afford to indulge their sensitivity. However, when it came to serious matters, they must be treated as servants. And Lichnowsky, whose ineffable kindness had previously extended to accepting that Beethoven should not be disturbed while he was engaged in his creative work, on this occasion did not mince his words, repeatedly asking Beethoven to play the piano for the French officers. Beethoven was so exasperated that he lost his temper and stubbornly refused to carry out what he called a servile task. If it had not been for Count Oppersdorf and others, an ugly brawl would have ensued because Beeethoven had picked up a chair and was about to break it over Lichnowsky’s head after the prince had broken down the door of Beethoven’s room, which the latter had bolted. Fortunately, Oppersdorf placed himself between them […] According to another account given by Ignaz von Seyfried, a theatre director and friend of the composer who probably witnessed the scene, Lichnowsky’s threat to have him arrested – which was not at all serious – resulted in Beethoven leaving during the night in thick fog for the neighbouring village, and, as if borne on the wind, hurried back to Vienna post-haste. As a prince invested with feudal power, Lichnowsky had made himself clear. Beethoven’s reply was also very clear. A little more than 20 years previously, Mozart, having been kicked in the butt by Count Arco, had left trembling with rage, but without uttering a word. When he reached the next village, before returning to Vienna, Beethoven sent word to his “patron”. On receiving the note, Lichnowsky read it, contemptuously threw it to the ground, and left. His physician, Dr. Weiser, who was behind the prince, picked it up and saved for posterity these words that abound in common sense: “Prince, what you are, you are by accident of birth. What I am, I am by myself. There are and will be a thousand princes. There is only one Beethoven.” The reform that he proposed in his letter of 23rd January, 1817 – which he sent to one of his main publishers – to dispense with the use of Italian musical terms would be pursued. Beethoven felt keenly that the old musical terms no longer corresponded to the character of his music; and in an undated letter probably written about the same time to Hofrath von Mosel, he insisted both on the modern and the national character of the reform that he advocated. “I am very pleased to find that you share my views on this tempo designation of movements, which stems from the primitive origins of music; for instance, can there be anything more absurd than Allegro which, once and for all, means cheerful, when we often have a very different understanding of the movement, although the piece itself often expresses the opposite of the indication? […] it is different with the words that designate the character of the piece. Those we cannot do without, as the tempo is, properly speaking, the body, whereas these indications relate to the spirit of the piece. As far as I am concerned, I have been thinking for a long time of giving up these absurd terms Allegro, Andante, Adagio, Presto; Maëlzel’s metronome gives us the best opportunity to do so.” Regarding the most important performance decisions, there was of course the essential question of the tempo required by Beethoven, which we know exactly thanks to the metronome indications left by the composer himself “in order to ensure the performance of my compositions everywhere in accordance with the tempi conceived by me, which, I regret to say, have so often been misunderstood.” In spite of these very precise indications given by Beethoven himself, it is unfortunately still often the case that some musicians and conductors do not consider these indications to be playable in practice, or else brush them aside, dismissing them as unartistic! It was this question that Rudolf Kolisch addressed when he stated that “all the tempi required by Beethoven of string instruments, at least, are perfectly playable on the basis of the average technique of today.” As I remarked in the context of Album 1, in our reflection and preparation for this new performance of Beethoven’s Nine Symphonies, we started with the basic idea of returning to the original sound and line-up of the orchestra as Beethoven envisaged them, constituted by the ensemble of instruments available to him for use in his day. As for the first 5 symphonies, we consulted the original sources for the existing manuscripts, and we studied and compared the autograph sources as well as the extant material of the parts used for the first concert performances, and the modern editions based on those same sources, with the aim of verifying all the indications concerning dynamics and articulation. All our orchestral work was done using instruments corresponding to those used in Beethoven’s day and with a similar number of musicians to those deployed by the composer for the first performances of his symphonies; in other words, about 55 to 60 musicians, depending on the symphonies. We have chosen 35 instrumentalists from the professional musicians of the Concert des Nations, including many who have been part of the ensemble since 1989, the remaining 20 instrumentalists being young musicians from different European countries and around the world who were selected from among the best of their generation at in-person auditions. The spirit which presides over the work of our orchestra is the spirit of chamber music, which allows us to give the maximum attention to all the details of each instrumental or vocal part, without losing sight of their basic function in building the final formal structure of each movement. From the outset it was obvious to us that the other key factor in our project was the study time necessary to undertake and bring to fruition such a major, complex task. Therefore, having a sufficient and generous amount of time was one of the essential conditions if we were to succeed in carrying out in-depth work on these nine symphonies as a whole. To ensure the success of our work and the coherent division of the complete cycle, we distributed the nine symphonies in four major programmes with the idea of preparing them over the course of two years. Each programme was studied and rehearsed, respectively, during two separate intensive 6-day Academies: in each first Academy, which we refer to as “the preparation Academy” we carry out the work of reflection, experimentation and definition concerning all the elements essential for a successful performance. In the second “performance enhancement Academies”, the whole orchestra and each instrumentalist individually studies in depth all the fundamental aspects necessary for the success of a performance that is faithful to the spirit of each work. On 4th July, 1810, E. T. A. Hofmann wrote in the Allgemeine Musikalische Zeitung: “Beethoven’s instrumental music, opens up to us the realm of the colossal and the immeasurable. Burning flashes of light pierce the deep night of this realm and we become aware of giant shadows rising and falling, steadily engulfing us and annihilating everything that is in us, and not just the pain of endless desire, in which each pleasure is eclipsed and disappears no sooner than it has emerged in joyful notes; and it is only in this pain, which consumes love, hope, and happiness but does not destroy them, and seeks to burst our breasts with a unanimous accord of all the passions, that we live on as enchanted beholders of the vision.” “This new balance of the instrumental groups”, observes André Boucourechliev, “far from being highlighted by today’s performances, is often neglected. The hypertrophy of the strings is one of the most persistent tendencies of ‘symphonism’, and for many the term symphony translates into an ‘orchestra of 120 musicians’. Ignaz Moscheles reports that what Beethoven feared above all was confusion and that he did not want more than about sixty musicians for his symphonies.” In our opinion, this new balance is a core question; indeed, it is the main reason why we chose a number of musicians similar to those Beethoven might have had at his disposal at the first performance of his symphonies: 18 wind instruments and 32 string instruments (10.8.6.5.3) corresponding to the instruments and tuning (Concert A at 430) used at that time. “Beethoven’s orchestra is not the power instrument, the megaphone or the outer casing of his ‘orchestrated’ musical thought: it is one and the same thing, it is that thought.” In our own time, numerous commentators, musicologists and music critics have voiced their opinions on Beethoven’s works and, in particular, his nine symphonies, but the fact is that the sheer mystery of his genius stems from the assurance of the act of creation, as revealed in his work. This energy, which so astonished his successors, has never been transferrable – except to those who, like Bartok, belong to the same category of musicians – because in Beethoven’s case the act of creation frequently takes the form of a combat. Beethoven often struggled with himself in order to create, and his work is the result of a creative process which bears witness to a new conception of art. Let us not forget that, coming immediately after Haydn and Mozart, who had refined the sonata, the string quartet and above all the symphony to a level of absolute quality, Beethoven was at a point of musical development when the Classical style had reached unparalleled heights. As Bernard Fournier so aptly remarks, “To compose in the wake of the two great Viennese composers, each of whom in his way created a new musical universe of such perfection, was a challenge the magnitude of which would long be overlooked by commentators because of the challenge that Beethoven’s own shadow cast over those who followed him.” The paradox confronting us in the 21st century was discussed more than 40 years ago by René Leibowitz in his book Le compositeur et son double, in which he referred to “the absolutely preeminent place occupied by Beethoven’s work in the musical life of our time (according to the results of a recent survey on the varying degrees of great composers’ “popularity” with music lovers).” In an endeavour to explain this, he continues: “One is tempted to conclude that audiences and performers display a genuinely profound awareness of authentic musical values, as these values have undoubtedly found in Beethoven’s music one of their highest and most prestigious expressions. To be sure, such a deduction is not altogether without foundation, and we can see that the well-known theory, according to which a work of genius will always unquestionably triumph in the end, contains an element of truth. One might also add that ultimately, whether they are fully aware of it or not, public and performers inevitably choose as their favourite works those which are the most deserving of the honour. And yet, if we apply these theories to Beethoven, one can’t help thinking that his case is one of the most disconcerting. In fact, there is perhaps no other composer who has been so constantly subjected to misguided and incongruous performance traditions, traditions which actually deform and obscure the very meaning of those works which enjoy such immense popularity… Indeed, we have here an extraordinary paradox in that we apparently love something that we know only in its deformed state, and we systematically deform something that we love. In our research and performance, we have taken all these considerations into account in pursuit of a genuine return to the sources and the original conception. Our principal aim of projecting in our 21st century the full richness and beauty of these well-known symphonies –all too often presented in an oversized, over-elaborate form, is to restore to these works their essential energy through a proper natural balance between the colours and the quality of the orchestra’s natural sound. In Beethoven’s day, that sound was produced by the stringed instruments (catgut strings and historic bows), woodwind instruments: flutes, oboes, clarinets, bassoons and contrabassoons; brass instruments: sackbuts, trumpets and natural trumpets and the period timpani played with wooden drumsticks. The resulting brilliance, articulation, balance and revolutionary dynamics form the basis of a dynamism based on a respect for Beethoven’s intended tempi (barring a few rare exceptions) and the phrasing to which they give rise, in accordance with the mood indications and the dramatic narrative sustained by the spiritual power of its own message. In his groundbreaking book on the composer, André Boucourechliev wrote: “Thanks to its new spiritual potential as well as its sound structure, Beethoven’s symphonic music transcends any pre-established character and context, departs on its own voyage of discovery, and finds – or even creates – a new audience. Beethoven would give to his mutable society with its sights set on the future, to its unpredictable desires and its unformulated demands, indeed to all those unknown variables, the object of their aspirations before they even knew what they aspired or wanted. New relationships and hazardous trials of force in which reluctance and misunderstanding jostle with collective elation […] Today’s music perilously continues to experience this perpetual adventure of unbridled confrontation. But it is above all Beethoven who must take the credit for having initiated it.” In this inherent revolutionary vigour of Beethoven’s symphonies, the powerful multiple voice of the orchestra generates a perpetual alertness of the creative spirit which will never exhaust their youthfulness. JORDI SAVALL
Hamburg, 9th October, 2021
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