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Joseph Haydn & La Création
Mon intérêt et ma fascination pour l'oeuvre de Joseph Haydn, remontent aux années 1960-64, période de finalisation de mes études musicales et de violoncelle au Conservatoire Supérieur de Barcelone, durant laquelle j'eus l'occasion de découvrir et étudier quelques-uns de ses plus beaux quatuors. À cette époque, deux partitions de poche spéciales m'accompagnaient toujours sur le chemin d'apprentissage des formes musicales et de la découverte fascinante des grands chefs-d'oeuvre de la création musicale : l'une L’Art de la Fugue de J. S. Bach et l'autre Les Sept dernières Paroles de Notre Rédempteur sur la Croix de J. Haydn. Deux oeuvres merveilleuses que j'ai pu enregistrer plus tard, pour le label ASTREE quelques années après avoir créé et préparé les ensembles musicaux appropriés : L'Art de la Fugue, enregistré en mars 1986 avec 4 solistes d'instruments à vent et 4 violes de gambe de l'ensemble HESPÈRION XX, après une année de concerts dans toute l'Europe célébrant les 300 ans de la naissance de Bach. Quatre années plus tard, en décembre 1990, suivait l'enregistrement des Sept dernières Paroles de Notre Rédempteur sur la Croix de J. Haydn, deux ans après la création de l'orchestre LE CONCERT DES NATIONS. Cette dernière oeuvre m'a tellement impressionné que j'ai senti le grand désir de la « revisiter » 16 ans plus tard en octobre 2006, et l'interpréter à l'Oratoire de la Sainte Cueva de Cadiz, le lieu où elle avait été commandée et donnée pour la première fois durant la Semaine Sainte de 1787.
L'objectif suivant était d'aborder l'interprétation de La Création, l'un des derniers grands chefs-d'oeuvre de ce compositeur, avec notre orchestre LE CONCERT DES NATIONS jouant sur les instruments de l'époque de Haydn. J'ai attendu encore d'avoir dans notre choeur de LA CAPELLA REIAL DE CATALLUNYA, - grâce au travail réalisé dans nos Académies Professionnelles un bel ensemble de voix spécialisé dans le style de cette époque et capable également de bien chanter en allemand. C'est 15 années plus tard après l'enregistrement de Cadiz que nous atteignons ce nouvel objectif, cette nouvelle Création, que nous avons l’immense plaisir de vous présenter ici.
Rappelons brièvement quelques faits de la vie de Joseph Haydn (1732-1809). Compositeur autrichien, il descend de paysans ou d'artisans, tant du côté paternel que maternel, originaires du village de Rohrau et établis dans cette région depuis plusieurs générations. Une contrée essentiellement limitrophe et carrefour d'éléments ethniques à la fois autrichiens, hongrois et slaves - notamment croates. Il n'est donc pas étonnant que la musique de ces divers peuples ait laissé des traces dans l'art de Haydn.
Après une courte visite à Hainburg, non loin de son village natal, Haydn fit un premier séjour d'une dizaine d'années à Vienne, recevant en qualité d'enfant de choeur quelques leçons, avant d'en passer dix autres durant lesquelles il mena une existence d'artiste indépendant, acquérant la pratique de son métier et s'imprégnant par tous les pores de son être du plus de musique qu'il pouvait. Comme nous le rappelle si bien Jens Peter Larsen, il sera à partir de l760 - il a 28 ans - et durant de longues années maître de chapelle au service des princes Esterhazy, à Eisenstadt puis à Esterhaz, près de 1a frontière austro-hongroise. Ce sont des années d'activités fécondes, comme il l'a reconnu lui-même par la suite : « Mon prince était satisfait de tous mes travaux, je recevais son approbation ; placé à la tête d'un orchestre, e pouvais me livrer à des expériences, observer ce qui provoque l'effet ou l'amoindrit et, par suite, corriger, ajouter retrancher, en un mot oser ; isolé du monde, je n'avais auprès de moi personne qui pût me faire douter de moi ou me tracasser, force m'était donc de devenir original. »
Après la mort du prince Nicolas Esterhazy en 1790, il fut presque totalement libéré de ses fonctions officielles et pût au cours des années suivantes, accomplir en Angletene deux longues tournées de concerts qui affermirent beaucoup sa gloire européenne. Principal représentant avec Mozart, du « classicisme viennois » pendant la seconde moitié du XVIIIè siècle, il deviendra l'un des compositeurs universellement connus, et dans l'évolution de la musique européenne sa position se caractérise par Ie fait qu'il a grandi durant les dernières années de l'époque baroque ; vers 1750 il a participé à toute l'éclosion du classicisme viennois jusqu'au seuil du romantisme qui fait irruption juste après 1800.
Haydn composa la Création en 1796-98 et la présenta en privé le 30 avril 1798 puis en public en 1799. Je n'entrerai pas trop dans les détails de cette oeuvre, ils sont magistralement expliqués et commentés dans le texte que nous éditons, écrit par le grand spécialiste de Haydn M. Marc Vignal. Je voudrais seulement rappeler, que le début de l'oeuvre fit une grande sensation lors de la première, Haydn s'y attendait et semble avoir jalousement préservé son secret jusqu'à la générale. Les 60 mesures d'introduction largo intitulées « La représentation du chaos » se référaient pourtant à une tradition musicale assez ancienne, comme l'affirme Carl de Nys, « très fidèlement cultivé par les compositeurs appartenant à la franc-maçonnerie comme Le Chaos de Jean Fery Rebel dans son ballet Les Eléments de 1737 », (oeuvre que nous avons enregistrée en 2015 ; ALIAVOX, Ref. AVSA9914).
JORDI SAVALL
Bellatena, 1er septembre 2021 |
ENGLISH VERSION
Joseph Haydn & The Creation My interest and fascination for the work of Joseph Haydn date back to 1960-64, when I was completing my music and cello studies at the Barcelona Conservatoire and had the opportunity to discover and study some of the composer’s most beautiful quartets. During that time, two special pocket scores always accompanied in my apprenticeship of musical forms and the fascinating discovery of great masterpieces of musical creation: one was J. S. Bach’s The Art of Fugue and the other Haydn’s The Seven Last Words of Christ on the Cross. Two wonderful works that I later recorded under the ASTRÉE label a few years after having founded and prepared the appropriate music ensembles: L’Art de la Fugue, recorded in March, 1986, with 4 solo wind instruments and 4 violas da gamba from the ensemble HESPÈRION XX, following a year of concerts throughout Europe to celebrate the 300th anniversary of Bach’s birth. It was followed four years later, in December, 1990, by the recording of Haydn’s Seven Last Words of Christ on the Cross, two years after the creation of the orchestra LE CONCERT DES NATIONS. The latter work made such a profound impression on me that I felt compelled to “revisit” it 16 years later in October, 2006, and perform it at the Oratorio de la Santa Cueva (Holy Cave Oratory) in Cadiz, for which the work was commissioned and where it was first performed during Holy Week, 1787. The next objective was to perform The Creation, one of the composer’s last masterpieces, with our orchestra LE CONCERT DES NATIONS playing instruments from the time of Haydn. It would not come about until – (thanks to the work carried out in our Professional Academies) our choral ensemble LA CAPELLA REIAL DE CATALUNYA comprised a fine choir specialising in the style of the period and, moreover, capable of singing in German. 15 years after the Cadiz recording, we achieved this new objective, this new Creation, which we now have the immense pleasure of presenting to you. Let us briefly outline the life of Joseph Haydn (1732-1809). The Austrian composer descended on both his father’s and his mother’s side from peasant farmers and artisans from the village of Rohrau, where they had had lived for several generations. It was essentially a border town, a crossroads for Austrians, Hungarians and Slavs – notably Croats. It is therefore no surprise that the music of these diverse peoples should have left traces in Haydn’s music. After a short stay at a boarding school in Hainburg, not far from his home village, Haydn went on to spend about ten years in Vienna as a cathedral chorister, where he gained some education before spending another ten years as an independent musician, practising his craft and absorbing as much music as he could. As Jens Peter Larsen points out, it was in 1760 – at the age of 28 – that he was appointed Kapellmeister (master of the chapel choir) in the service of the Esterhazy princes, with whom he would remain for many years first at Eisenstadt and then at Esterház, near the Austro-Hungarian border. Those were highly productive years, as the composer himself stated: “The prince was satisfied with all my endeavours, I received his approval; as head of an orchestra, I was free to experiment, to observe what enhances or detracts from effect, and, accordingly, to revise, make additions or cuts: in a word, to take risks. As I was cut off from the world, there was no one to make me doubt myself or vex me, so I had no choice but to become original.” After Prince Nicolas Esterhazy’s death in 1790, Haydn was almost completely freed from official duties and over the next few years was able to embark on two long concert series in England, which greatly enhanced his fame in Europe. Together with Mozart, he was the principal representative of “Viennese Classicism” during the second half of the 18th century, joining the ranks of universally famous composers. His role in the evolution of European music continued to grow during the final years of the Baroque period, and he remained a key figure at the height of Viennese Classicism from around 1750 until the rise of Romanticism in 1800. Haydn composed The Creation in 1796-98 and it was performed for the first time at a private concert on 30th April 1798, followed by a public performance in 1799. I shall not give a detailed description of the work here, as it is brilliantly explained and discussed by the leading Haydn specialist Marc Vignal in the accompanying text. I would simply like to recall the great sensation caused by the beginning of the work at its première. Apparently prepared for as much, Haydn seems to have jealously guarded his secret until the final rehearsal. Yet, the 60-bar Largo introduction entitled “The Representation of Chaos” was in line with a long musical tradition which, as Carl de Nys points out, was “faithfully observed by composers who were Freemasons, as can be seen in the Chaos from Jean-Féry Rebel’s ballet Les Éléments of 1737” (a work which we recorded in 2015, ALIA VOX, Ref. AVSA9914). At the memorable concert of 27th March, 1808, attended by the aged composer who was carried in on a chair, when the audience broke out in the accustomed rapturous applause following the passage rising to a fortissimo after the Chaos, the introduction of Raphael’s recitative and the entrance of the chorus with its impressive succession of pianissimo and fortissimo, Haydn pointed heavenward with tears in his eyes, saying, “It all comes from up there!” These words are the sincerest proof of Haydn’s deep faith, one which sustained him as he composed The Creation, and he confessed that “as he worked, he had felt an extraordinary religious fervour.” However, this work was also inspired by the spirituality of the Viennese Masonic lodges of his day. Finally, we agree with Carl de Nys’s conclusion that “it is above all the first secular oratorio, in the sense that its message is addressed to all mankind, exactly like The Magic Flute, in operatic terms, and well before the Finale of Beethoven’s 9th Symphony.” JORDI SAVALL Bellaterra, 1st September, 2021 Translated by Jacqueline Minett |
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