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 Extrait du livret / From the liner notes


Alia Vox
AVSA9933





Code-barres / Barcode : 8435408099332

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À la redécouverte d’Elkano

Pour ceux qui ont eu la chance de pouvoir voyager dans l’espace-temps avec Jordi Savall en faisant partie de ses ensembles et en apprenant de chacun de ses projets, le fait de présenter un nouveau programme autour de la figure de ce Basque universel qu’est Juan Sebastian Elkano – en tant que capitaine d’un voyage musical à travers le monde et son temps –, n’est pas une proposition si étrange. Les règles sont marquées, le principe est simple, la musique est le langage universel par antonomase : depuis la nuit des temps elle a uni des peuples lointains et continue à les unir. Ce personnage qui, parti d’une expédition commanditée par la Couronne de Castille sous les ordres du capitaine Ferdinand de Magellan à la recherche de la Route des Épices il y a 500 ans, fit le tour de la sphère terrestre, réalisant ainsi un record dans l’histoire universelle. Or il est encore peu connu dans le monde entier et pourtant il nous ouvre une porte vers le passé pour le bonheur et la compréhension du présent.

La culture maritime basque dont Elkano est le fils, nous a amenés au contact d’autres peuples depuis très longtemps, donc au contact avec leurs chants, leurs danses et leurs musiques. La trace laissée durant le premier millénaire de notre ère par les Hellènes (venus de l’est), les Celtes et les Vikings (venus du nord) est difficile à évaluer mais nous partageons avec ces nations (avec lesquelles nous avons été en relation par la mer), des instruments de musique, des thèmes allégoriques et des formes musicales. Comme beaucoup d’autres peuples, nous les Basques, avons été outre des païens, des juifs, des musulmans, des chrétiens… et tous ces apports religieux ont laissé leurs empreintes pour former ce que nous sommes actuellement. La localisation d’Euskal Herria (Pays Basque) comme porte réelle d’Al-Andalus vers l’Europe et vice-versa (à part le passage obligé du chemin de Saint-Jacques), attira diverses cultures favorisant la rencontre de mondes différents depuis les temps jadis. Tudela, par exemple, fut le berceau et le domicile d’écrivains musulmans et juifs des plus remarquables, en même temps qu’un noyau commercial et un centre de construction navale parmi les plus importants entre les XIIe et XVe siècles, car à ces époques-là, l’Èbre était un fleuve navigable jusqu’à son embouchure. Il est très intéressant actuellement d’étudier et d’observer ces cultures et leurs traditions pour nous reconnaître en grande partie en elles, communiquer intimement avec elles, ce qui donne de grandes satisfactions.

L’un des changements les plus considérables lors du passage de l’époque médiévale à la Renaissance, au temps d’Elkano précisément, fut le passage de la prédominance commerciale et culturelle de l’axe méditerranéen à celui de l’Atlantique, qui devint ainsi l’épicentre des voyages transocéaniques et des routes commerciales. Les Basques eurent un rôle décisif dans cette nouvelle perception du monde : la chasse à la baleine dont ils furent les maîtres et les pionniers, les obligea à développer une ingénierie navale d’avant-garde ainsi qu’une industrie et une manufacture qui les menèrent à sillonner les océans, réalisant les plus grandes audaces maritimes jamais rencontrées. Ils ouvrirent des relations commerciales avec des peuples d’autres continents comme, par exemple, les premières contrées d’Amérique du Nord ou les habitants de Suède et d’Islande. L’histoire du peuple basque et le cheminement vers la première globalisation que supposa le premier tour du monde sont donc unis à cette histoire navale et maritime centenaire. Cette première globalisation mondiale, qui présentait des défis similaires à ceux de l’actualité, déclencha la guerre pour dominer le monde. Dans certains cas, loin de donner une conscience globale, elle exacerba les singularités face au danger de disparition de ce qui était personnel et proprement authentique au profit de ce qui était global.

Il ne faut pas oublier qu’à cette époque la soumission de la réalité à la volonté du dominium mundi, va souffrir un changement qualitatif : car l’être humain en vient à prendre la parole dans un désir de connaissance et d’aventure (en tant que création de Dieu), mais en même temps il est décidé à avancer dans son dessein intellectuel. Ainsi par exemple, l’espace maritime à ces époques-là – dont la conception à la Renaissance transcende la cosmovision médiévale de la peur de l’inconnu (considéré comme démoniaque) –, implique des mystères que l’expérience nautique peut dépasser, et de fait elle les dépasse.

Ainsi donc, les musiques et les instruments que nous pouvons trouver dans des lieux aussi lointains que l’Indonésie, nous parlent avec clairvoyance de l’interaction humaine, conséquence des contacts intenses qui se sont réalisés à partir de la Renaissance. Ils nous parlent également de l’influence des musiques et des instruments amenés à travers les mers par des milliers de navigateurs mais aussi d’esclaves qui, de façon forcée et inhumaine, ont été amenés d’un continent à un autre et pour qui la musique et la danse furent une manière de subsister face à tant d’injustice.

Euskal Barrokensemble revient donc ici à sa genèse comme groupe de musique, en racontant notre histoire à la première personne, et se souvenant, grâce à l’éphéméride du premier tour du monde, que cette connexion globale mise en évidence par Juan Sebastian Elkano est l’essence de notre personnalité plurielle comme êtres humains :

VIVI FELICE

MIREN ZEBERIO et ENRIKE SOLINIS
Tolosa, décembre 2018

 
ENGLISH VERSION

 

Re-discovering Elcano

For those of us who are lucky enough to have been able to travel in space and time with Jordi Savall as members of his ensembles and to learn from each of his projects, launching a new programme with the figure of the outstanding Basque navigator Juan Sebastián Elcano to guide us on a musical journey through his world and his times is a congenial task. The premise is clear and the principle is a simple one: music is the quintessential universal language, which has united remote peoples through the ages, as it still does today. The same man who, 500 years ago, took part in an expedition commanded by Ferdinand Magellan to find the Spice Islands for the Crown of Castile, and who despite having established a landmark in universal history by circumnavigating the Earth, is nowadays unknown in much of the world, and yet provides us with a perspective on the past which enhances our enjoyment and understanding of the present.

The Basque maritime culture to which Elcano was heir has brought us into contact with other peoples since time immemorial, and it has also acquainted us with their songs, dances and music. It is difficult to track down the influences in the north of the Iberian Peninsula of the Hellenic peoples from the East, the Celts and the Vikings from northern Europe, but we share instruments, allegories and musical forms with all those peoples with whom we have had dealings thanks to the sea. Like many other peoples, we Basques have been pagans, Jews, Muslims, Christians… and all these religions have made their mark, shaping us into what we are today. Because of the Basque Country’s location as the real gateway from Al-Andalus to Europe and vice versa, as well as being a stage on the Pilgrim’s Way of St. James, it was a magnet for diverse cultures and a meeting-point for different worlds. Tudela, for example, was the birthplace and centre for outstanding Muslim and Jewish writers, as well as a major trading and shipbuilding city during the 12th-15th centuries, when the River Ebro was navigable as far as the sea. For all these reasons, it is important to study and observe these cultures and their traditions today and to recognize how much we are reflected in them, to communicate directly with them and to enjoy the whole process.

One of the most important changes in the passage from the Middle Ages to the Renaissance, as witnessed by Elcano, was the shift in trading and cultural dominance from the Mediterranean axis to the Atlantic, which became the epicentre of transoceanic voyages and trade routes. The Basques played a decisive role in that new conception of the world. Whale hunting, in which they excelled and were pioneers, forced them to develop groundbreaking naval engineering skills and to become leaders in a manufacturing industry that led them to plough the oceans and pursue the boldest maritime adventures ever seen. They established trading relations with peoples of other continents such as the First Nations of North America and the inhabitants of Iceland and Sweden. The history of the Basque people and the path towards the first circumnavigation of the Earth that marked the beginnings of globalization are therefore inseparable from that centuries-old naval and maritime history. That early globalization of the planet, with challenges similar to those we see today, unleashed a struggle to dominate the world. In some cases, far from fostering a global spirit, it emphasized differences in response to the danger of individual and genuine being swallowed up by the global.

We should not forget that at that time submission to the idea of dominium mundi, or universal dominion, underwent a qualitative shift: human beings, as God’s creation, acquired a new voice through their quest for knowledge and adventure, resolute in their pursuit of intellectual advancement. The Renaissance’s understanding of the oceans, for example, transcended the Medieval worldview’s fear of the unknown as something demoniacal, instead perceiving the maritime world as a realm whose mysteries could be –and in fact were– conquered by nautical prowess.

Moreover, the music and instruments that we find in remote places such as Indonesia clearly point to the human interaction resulting from the intense contacts forged in the Renaissance, and to the influence of the music and instruments carried over the ocean by thousands of sailors and slaves who were forcibly and inhumanly transported from one continent to another, for whom music and dance were a means of surviving amid such great injustice.

In this project, therefore, Euskal Barrokensemble returns to its origins as a music group, telling our story in the first person and taking the opportunity on the 500th anniversary of the first circumnavigation of the Earth to recall that global connectedness, as illustrated in the life of Juan Sebastián Elcano, is the essence of our plural nature as human beings.

VIVI FELICE.

MIREN ZEBERIO and ENRIKE SOLINÍS
Tolosa, December 2018

Translated by Jacqueline Minett

 

 

  

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